Si les Français plébiscitent Google pour effectuer leurs recherches, il est une question à laquelle le moteur ne peut toujours pas répondre : quelle est la responsabilité d’une régie publicitaire qui permet de publier à partir de certains mots-clef des annonces intégrant des liens hypertextes ?
Depuis octobre 2003 et le jugement Bourse des Vols (Cédric Manara, " Tu m'cherches ? La société Google condamnée pour contrefaçon de marques dans ses liens publicitaires ", Juriscom.net, 28/10/2003), ont été rendues une trentaine de décisions judiciaires en France. Certaines retiennent la responsabilité du prestataire qui fournit un service de liens commerciaux et suggère des mots-clef, d’autres l’absolvent ; des plaideurs choisissent de n’assigner que l’annonceur, pendant que d’autres se cassent les dents à essayer d’impliquer le moteur… Et Google quant à lui se retranche derrière le régime de responsabilité allégée propre aux hébergeurs. Bref, un éclairage venu d’en haut était nécessaire, et les juristes attendaient la première décision de la Cour de cassation.
Qui n’est pas venue. Statuant le 20 mai 2008, la Cour de cassation [Juriscom.net] a décidé qu’il était préférable d’en référer à la C.J.C.E., afin que cette autorité judiciaire donne son opinion sur la notion d’usage de marque au regard du droit communautaire (Frédéric Glaize, « Liens publicitaires : questions préjudicielles de la Cour de cassation à la CJCE dans l’affaire Vuitton/Google », Pmdm.fr, 21 mai 2008).
Il est bon que la C.J.C.E. soit ainsi saisie. Cela pourrait mettre fin à une jurisprudence confuse en France et au delà , mettre fin à des divergences entre différentes jurisprudences nationales, toujours plus criantes ces derniers mois :
· Au Royaume-Uni, en février dernier, l’English High Court décidait que le service de liens sponsorisés de Yahoo! n’avait pas porté atteinte aux droits du titulaire de la marque MR SPICY, dès lors qu’elles étaient déclenchées seulement à partir de requêtes contenant le mot spicy, seul ou accompagné (20 février 2008, Victor Andrew Wilson v Yahoo! UK Ltd and Overture Services Ltd). Il fut jugé que Yahoo! n’utilisait pas la marque, et que c’est l’utilisateur qui le faisait.
· Ce même mois de février, il fut jugé en Allemagne (Oberlandesgericht Frankfurt am Main, 26 février 2008, 6 W 17/08) que l’usage par un annonceur de la marque d’un tiers via le système Google AdWords n’était pas contraire au droit local des marques, dès lors que les publicités ainsi générées se distinguaient nettement des résultats de recherche.
· Plus au sud, une cour italienne a estimé, également à propos de AdWords, qu’il ne pouvait y avoir usage illégal par Google, car l’utilisation sous forme de mot-clef n’est pas un usage permettant d’indiquer l’origine de produits ou de services. En revanche, l’annonceur peut être poursuivi pour concurrence déloyale (Milan, 15 octobre 2007, Key 21 c/ Mulitiutility et Google Italy).
· En Belgique, le tribunal de commerce de Bruxelles saisi en urgence a ordonné la cessation de publicités AdWords qui redirigeait vers une rubrique du site eBay, et non des pages où des produits revêtus de cette marque étaient revendus. Il a jugé (24 janvier 2008) que l’usage des marques Ralph Lauren et Polo Sport portait atteinte aux droits du titulaire de ces marques et était contraire aux usages honnêtes.
· Aux Pays-Bas voisins, une juridiction de La Haye a jugé qu’une société vendant des produits d’occasion ne se rend pas coupable de contrefaçon en utilisant des mots-clef pour afficher des publicités promouvant des reventes de produits marqués (9 janvier 2008, Portakabin Limited c/ Primakabin BV).
Cédric Manara
Professeur associé, EDHEC Business School
Membre du comité scientifique de Juriscom.net
Frédéric Glaize
Conseil en Propriété Industrielle
Membre du Comité éditorial de Juriscom.net