A propos de la décision du TGI de Troyes, 4 juin 2008, Hermès International c/ eBay et autres A l’image des faits – un titulaire de droits recherchait la responsabilité d’une plateforme Internet au titre d’une participation à des actes de contrefaçon –, retenir que « dans la gestion de son service de courtage en ligne, les sociétés eBay assument deux rôles différents hébergeurs et éditeurs de services » n’a, à vrai dire, rien de très novateur (1). En effet, tant la jurisprudence antérieure (2), qui confirme depuis quelques mois que les plateformes Internet peuvent être considérées comme des personnes « qui assurent même à titre gratuit par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, décrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services » (3), que certains commentateurs (4) qui avaient, il y a de cela quelques semaines, soulevé la possibilité de qualifier les plateformes Internet d’éditeur de service de communication au public en ligne, permettaient d’envisager l’hypothèse d’un cumul de qualification. Pourtant, si la qualité d’hébergeur, bénéficiant d’une définition explicite au sein l’article 6-I-2 de la LCEN, est facilement identifiable, l’absence de définition expresse de l’activité correspondant à l’édition de services de communications au public en ligne rend l’appréhension de cette notion plus difficile et nécessite un détour par l’article 1-IV al.4 qui définit la communication au public en ligne. Les éditeurs de services de communication au public en ligne seraient, par conséquent, les personnes éditant un service de « transmission, sur demande individuelle, de données numériques n’ayant pas un caractère de correspondance privées, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d’informations entre l’émetteur et le récepteur ». Néanmoins, si cette qualification duale emporte l’adhésion et, si la recherche du régime de responsabilité correspondant à la qualité d’hébergeur ne pose guère de difficultés (5) - ce dernier étant adossé au sein de l’article 6-I-2 à la définition de l’hébergeur -, il n’en va pas de même de celle d’éditeur de services de communications au public en ligne. En effet, la LCEN ne fait référence à cette activité que dans le but de lui imputer quelques obligations relatives à son identification (art. 6-III de la LCEN) sans renvoyer à un quelconque régime de responsabilité. Partant, le Tribunal tente de résoudre cette difficulté en usant de la technique du faisceau d’indices. Cette démarche le conduit, dans un premier temps, à rejeter expressément le régime de responsabilité éditoriale du fait des contenus communiqués, établissant ainsi, pour la première fois à notre connaissance, une frontière, entre l’édition de contenus (6) et l’édition de services, interprétation qui ne peut, d’ailleurs, que satisfaire le positiviste. Néanmoins, il faut avouer que la suite de la décision met un terme, de manière quelque peu abrupte, aux réjouissances. En effet, selon le tribunal, cette qualification duale permet d’imputer au défendeur, « en tant que société de courtage éditrices de services de commerce », un défaut de vigilance en s’appuy ant sur le fait que, « les sociétés eBay ne sont pas dispensées de veiller dans la mesure de leurs moyens, à ce que leur site internet soit utilisé à des fins répréhensibles ». Or, cette obligation de « (sur)veillance », toute de moyen soit-elle, est critiquable d’un triple point de vue. En premier lieu, il paraît difficile de retenir la qualité d’hébergeur tout en imposant, fusse au titre d’un cumul de qualification, une telle obligation. L’article 6-I-7 de la LCEN n’enseigne-t-il pas que les personnes répondant à la qualité d’hébergeur ne sont aucunement soumises à une « obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent » ? Ensuite, même si l’on se place au niveau de la seule qualité de courtier, il reste que cet intermédiaire, qui est certes « tenu de d’assurer l’exactitude des renseignements relatifs à l’opération envisagée (prix, délais…) ; […] en faute si la solvabilité du contractant qu’il a permis de trouver était, à l’évidence, douteuse », ne peut, cependant, être tenu « garant de la qualité de marchandises qui sont l’objet de la transaction, ni responsable de la bonne exécution du contrat qu’il a permis de conclure »(7). Or, le reproche formulé par le Tribunal à l’encontre des sociétés eBay consiste, semble-t-il, dans le manque d’information sur le caractère contrefaisant ou non des marchandises échangées par son intermédiaire, soit à se porter garant de leur qualité. Enfin, et surtout, il semble qu’un régime de responsabilité spécial édicté par la LCEN soit susceptible de définir les conditions de mise en jeu de la responsabilité des éditeurs de services de communications au public en ligne. En effet, il résulte de la définition retenue ci-dessus que cette activité consiste en la transmission de contenus. Or, le régime de responsabilité résultant d’une telle activité est régi par l’article 9 de la LCEN selon lequel « toute personne assurant une activité de transmission de contenu sur un réseau de communications électroniques (8) ou (9) de fourniture d’accès à un réseau de communications électroniques ne peut voir sa responsabilité civile ou pénale engagée à raison de ces contenus que dans les cas où soit elle est à l’origine de la demande de transmission litigieuse, soit elle sélectionne le destinataire de la transmission, soit elle sélectionne ou modifie les contenus faisant l’objet de la transmission ». Sauf à considérer, en optant pour une interprétation aux forceps, que l’obligation de moyen imputée par le Tribunal à la société eBay trouve sa source dans la notion « d’origine de demande transmission litigieuse », il semble difficile de sanctionner les coutiers aux enchères en ligne, qualifiés d’éditeur de services, au titre d’un fait générateur absent des hypothèses visées par l’article 9 de la LCEN. Ronan Hardouin Doctorant Laboratoire DANTE Chargé d'enseignements Master II NTIC Université de Versailles – St Quentin _________________________ (2) Voir par exemple : TGI Paris, 15 avril 2008, Jean Yves Lambert dit Lafesse et a. c/ SA Dailymotion et a. ; TGI Paris, 20 février 2008, Flach Film et a. c/ Google France, Google Inc. ; TGI Paris, 19 octobre 2007, SARL Zadig Production c/ Google Inc. (3) Art. 6-I-2 LCEN : (4) G. Teissonière, Quelle responsabilité appliquer aux plates-formes de commerce en ligne et autres intermédiaires de contenus, RLDI 2008/35 n° 1165. (5) Au contraire de son application. (6) Cette qualité ne pouvant s’appliquer selon le tribunal qu’aux personnes qui sont « personnellement à l’origine de la diffusion ou présentes les contenus hébergés selon une ligne éditoriale délibérée », ajoutant de manière très explicite que « leur régime de responsabilité ne recoupe pas celui des éditeurs de contenu qui restent soumis, aux termes de la LCEN et du décalque opéré sur la loi du 29 juillet 1881 à une responsabilité de plein droit ». (7) J. Huet, Les principaux contrats spéciaux, L.G.D.J., 2ème édition, n° 31134. (8) La communication au public en ligne étant une sous-catégorie de la communication électronique. (9) Cette conjonction implique que le régime de responsabilité défini dans cet article ne s’applique pas aux seuls FAI.
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