« … Des usages qui n’ont rien à voir avec la copie privée ». C’est par cette formule un peu provocante que peut être résumée la décision SIMAVELEC rendue [Juriscom.net] par le Conseil d’Etat le 11 juillet 2008.
La décision était attendue, après les prises de positions de la Commission européenne, du Premier Ministre, du Secrétaire d’Etat à l’économie numérique. Elle est importante, car au travers d’un recours en annulation portant sur une décision de la commission copie privée (la décision n°7 du 20 juillet 2006 sur l’assujettissement des baladeurs, des enregistreurs de salons et sur l’actualisation du taux des DVD vierges), elle touche au mode de calcul de la rémunération qui a toujours été suivi en France, pour toutes les décisions sur les supports numériques.
On sait la matière très sensible et les débats qui s’y déroulent rarement dépassionnés. Alors limitons-nous, dans cette actualité, à dégager les lignes de force d’une décision qui ne manquera pas d’animer la rentrée…
1/ L’exception de copie privée est « une modalité particulière d’exploitation de droit d’auteur »
La précision est significative, même si la discussion sur la nature de la rémunération pour copie privée n’est pas totalement épuisée.
La nature de la rémunération pour copie privée était, en effet, discutée à l’occasion de ce recours (et elle le demeure dans les recours pendants contre les décisions nos8, 9 et 10), tant en raison de son assiette, que de l’affectation d’une partie des sommes récoltées.
-- Dans l’assiette de la rémunération tout d’abord, puisque ne pouvant faire le détail entre pratiques d’archivage (duplication de photos, duplication de dossiers professionnels, …) et pratique de copie privée (copiage d’une œuvre), la Commission copie privée a, dès la décision du 4 janvier 2001, décidé de poser une présomption d’utilisation à des fins de copie privée de tout support numérique acheté. Il s’ensuit que tout consommateur français doit s’acquitter du montant, même s’il ne réalise pas de copie privée avec les supports.
Sous cet angle, la rémunération présente les traits d’un prélèvement obligatoire et forfaitaire.
-- Dans l’affectation des sommes perçues ensuite, puisque 25 % de celles-ci ne sont pas directement redistribuées à « l’auteur, l’artiste interprète ou le producteur », mais vont servir au financement de festivals, de formations, de soutien de la création… soit des missions d’intérêt général économique relevant davantage d’une action publique ou de pouvoirs publics.
Pour le requérant, ce régime serait révélateur d’une nature en réalité « fiscale» du prélèvement. Par conséquent, ce prélèvement aurait du être expressément institué par le Parlement, selon l’article 63 de la loi organique du 1er août 2001. Ce qui, en l’absence de texte, expose au grief de l’annulation.
Le Conseil d’Etat ne tranche pas précisément ce débat (en indiquant ne pas statuer sur ce moyen d’annulation), mais il se montre attaché à un raisonnement de droit privé.
Il vise les articles L.122-5 et L.311-1 du Code de propriété intellectuelle pour insister sur le fondement privatiste de cette « exception au principe du consentement de l’auteur à la copie de son œuvre ; … (qui) est une modalité particulière d’exploitation du droit d’auteur » et dont l’objet primordial et essentiel consiste à compenser directement à l’auteur le préjudice qu’il subi du fait de la mise en œuvre de l’exception de copie privée.
On comprend l’enjeu : plus l’accent sera mis sur le financement de festivals ou d’aides diverses effectué au moyen de la rémunération pour copie privée (ce que l’on évoque aussi par « fonction sociale » de la rémunération), plus on la détache d’un versement direct au bénéfice de l’ayant-droit et plus on la rapproche d’un prélèvement a finalité publique, donc de nature fiscale ou « parafiscale ». Cette nature fragilise alors l’assise de la rémunération, puisque son existence et ses montants auraient dus être soumis au vote du Parlement.
2/ La rémunération pour copie privée « ne peut prendre en considération que les … copies réalisées à partir d’une source licitement acquise »
Il est inutile de rappeler au lecteur de juriscom.net que la jurisprudence, approuvée par une importante doctrine, a plusieurs fois exclu que l’exception de copie privée puisse couvrir des actes de téléchargement sans droit, de piratage et de contrefaçon.
En l’état, le champ de l’exception pour copie privée est strictement défini. Elle n’autorise que le copiage d’une source licite. Elle ne concerne pas la duplication d’une source illicite, ni n’interfère sur la répression du téléchargement sans droit (c’est là un autre sujet traité par le rapport Olivennes et le projet de loi HADOPI).
La rémunération pour copie privée étant, selon l’article 5-2 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, « la compensation » du préjudice de copie privée, son évaluation devrait dépendre du périmètre des actes autorisés.
Cette évaluation est d’ailleurs envisagée en préambule de la directive, dans ce que l’on appelle son considérant 35, qui évoque comme « critère utile » d’une bonne méthode, « le préjudice potentiel subi par les titulaires de droits en raison de l’acte en question ».
Inscrite dans une directive communautaire, cette méthode devrait donner, dans tous les Etats membres où la rémunération pour copie privée existe, des montants comparables.
Or, l’on sait qu’il existe des différences du simple au sextuple entre rémunérations pour copie privée des Etats européens, différences injustifiables au regard du fondement communautaire.
Un des facteurs d’explication de cette disharmonie tient à une surévaluation des « usages » par la Commission copie privée française.
Le SIMAVELEC relevait ainsi que les usages pris en compte pour estimer le montant de la rémunération n’ont jamais ventilé entre « copiage d’une source licite » et « duplication d’une source illicite ». Il critiquait donc la logique de prise en compte de cette seconde catégorie d’usages, usages relevant d’actes de contrefaçon, n’ayant pas à être comptabilisés, sauf à provoquer une situation paradoxale.
En réponse, le Ministre de la Culture, intervenu volontairement aux côtés des sociétés de gestion collective, estimait que l’on pouvait parfaitement déconnecter exception pour copie privée, d’un côté, et rémunération pour copie privée, d’un autre. En peu de mots, la rémunération pour copie privée pourrait dédommager plus que ce que la copie privée autorise à effectuer, car il faut bien faire indemniser les effets du téléchargement illicite par quelqu’un, en l’absence d’autres sources de revenu existantes.
Le Conseil d’Etat sanctionne ce glissement : « Considérant que … pour déterminer le taux de la rémunération pour copie privée, la commission … tient compte tant de la capacité d’enregistrement des supports que de leur usage, à des fins de copies privées licites ou illicites, sans rechercher, pour chaque support, la part respective des usages licites et illicites, que par suite, en prenant en compte le préjudice subi du fait des copies illicites de vidéogrammes et de phonogrammes, la commission a méconnu les dispositions … du Code… ».
Le raisonnement est orthodoxe : hors de la copie privée, ce n’est plus de la copie privée, mais du téléchargement sans droit. En l’état des textes, le téléchargement sans droit relève de la contrefaçon, qui peut être poursuivie pénalement ou civilement, mais ne peut alimenter un nouveau type de prélèvement dissimulé ou aménager une sorte de licence légale rejetée par le Parlement.
La solution est cohérente : on ne peut faire endosser à la copie privée les conséquences financières de pratiques qui sont étrangères à son exercice. La rémunération pour copie privée ne compense que le préjudice occasionné par les pratiques de « copiage licite ». Rien en-deçà , rien au-delà . Si l’on veut assurer l’efficacité d’une politique de lutte contre la contrefaçon, il faut éviter les facteurs de confusion des genres.
Le Conseil d’Etat fait toutefois une entorse au principe d’annulation rétroactive, comme il en a désormais la possibilité, craignant que sa décision ne provoque « des demandes de remboursement ou de versements complémentaires » que ne seraient pas à même d’assumer les différents acteurs.
On devine que le Conseil d’Etat a redouté que sa décision n’ait un impact financier déstabilisant. Les associations de consommateurs ne la verront sans doute pas du même œil, la solution laissant in fine à la charge des consommateurs français les montants versés pour des usages relevant de pratiques contrefaisantes.
Cela étant, ce qui vaut pour la décision n°7, vaut pour toutes les décisions antérieures ou postérieures, puisque la ventilation selon la source des usages pris en compte n’aurait jamais été effectuée par la Commission (http://www.lepoint.fr/actualites-societe/taxe-copie-privee-revue-a-la-baisse/1597/0/260697 et http://www.pcinpact.com/actu/news/44929-privee-multimedia-iphone-afom-copie.htm).
Cyril Chabert
Docteur en droit, Avocat au barreau de Paris