« Que la responsabilité de l'hébergeur n'est pas engagée puisqu'il ne peut lui être reproché, en l'espèce, d'avoir eu connaissance du caractère manifestement illicite des informations stockées, ni de ne pas avoir agi promptement au moment où il en a eu connaissance, dès lors que ni la mise en demeure du 16 avril 2008, ni la sommation du 18 avril ne satisfaisaient aux conditions légales, les formalités prévues par l'article 6.I.5 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique n'ayant pas été respectées au cas présent. »
C’est ainsi que le TGI de Paris a statué, le 13 octobre dernier, sur la portée à conférer à l’article 6.I.5 dans l’affaire opposant plusieurs personnes physiques à l'auteur d'une diffamation et au magazine de presse 20 Minutes, appréhendé ici pour son activité d’hébergement de blog (TGI Paris, 17ème, 13 octobre 2008, Juriscom.net).
Alors que le débat relatif au statut des fournisseurs d’hébergement tend à s’étioler depuis l’annonce du plan de développement de l’économie numérique [PCINpact] par le Secrétaire d’Etat Eric Besson en charge de l’Economie numérique, la jurisprudence, elle, continue naturellement son bonhomme de chemin.
L’une des problématiques de la LCEN, soulevées par maintes affaires, consiste a déterminer la portée exacte à conférer à la procédure de notification de l’article 6.I.5 qui permet, selon la loi, de faire présumer acquise la connaissance de l’existence de contenus litigieux à l’hébergeur 1.0 ou 2.0.
Cette procédure, introduite au sein de la LCEN par le député Patrice Martin-Lalande fortement inspiré par la Recommandation [Foruminternet.org] du Forum des droits sur l’internet du 6 février 2003, est ainsi définie :
Article 6.I.5 de la LCEN : « La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu'il leur est notifié les éléments suivants :
- la date de la notification ;
- si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement ;
- les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ;
- la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
- les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;
- la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté. »
Il ressort des débats parlementaires que le respect de cette procédure ne devait pas avoir un caractère obligatoire afin de ne pas risquer d’ajouter une condition supplémentaire à l’engagement de la responsabilité des prestataires d’hébergement qui n’aurait pas été prévue par la directive européenne « Commerce électronique » du 8 juin 2000.
Mais force est de constater, dans les faits, que cet article 6.I.5 s’affranchit progressivement du carcan dans lequel les parlementaires auraient voulu l’enfermer et que le pouvoir judiciaire prend légitimement la liberté d’interprétation qui lui est acquise pour conférer une réelle portée juridique à cette procédure.
Que les requérants viennent à « ignorer » cette procédure, et la sanction tombe immédiatement. Les juges ont en effet tendance à les débouter rapidement de leur action (TGI Paris, réf., 19 oct. 2006, Juriscom.net ; CA Paris, 11e ch., 8 nov. 2006, Comité de défense de la cause arménienne c/ S. Aydin et a. : RLDI 2006/22 n° 709).
La décision du 13 octobre 2008 s’inscrit dans la lignée de cette jurisprudence. Il ne faudrait cependant pas en faire une lecture trop rapide et considérer, par une lecture a contrario, que le simple respect de la procédure entraînerait la connaissance du caractère manifestement illicite du contenu litigieux visé par la procédure de notification. D’aucune manière on ne pourrait considérer que le respect de la procédure doit automatiquement entrainer le retrait du contenu par l’hébergeur. Les principes gouvernant la liberté d’expression et les équilibres voulus par le législateur ne le supporteraient pas.
Non, la portée à conférer à cette jurisprudence est la suivante : le respect de la procédure constitue une étape obligée à la mise en œuvre éventuelle de la responsabilité de l’hébergeur. Une fois que l’hébergeur a été notifié, il lui reste à déterminer si le contenu dénoncé comme illicite relève du « manifestement illicite » et doit, en conséquence, faire l’objet d’un retrait immédiat.
Car s’il était demandé à l’hébergeur de retirer un contenu toutes les fois que la procédure est simplement respectée, ce serait la porte ouverte à tous les abus : une entreprise X qui voudrait faire fermer le site d’une entreprise Y n’aurait plus qu’à respecter la procédure, idem pour le titulaire d’un profil sur un réseau social qui voudrait voir disparaître celui de ce camarade qu’il ne « peut pas sentir ».
En définitive, cette décision confirme le courant actuel qui vise à conférer à cette procédure de notification une place de choix.
Pour mémoire, d’autres décisions sont venues ces derniers temps apporter leur lot de précisions :
- la notification doit être communiquée à l’hébergeur par un moyen permettant de constituer une preuve fiable, telle que la lettre recommandée avec accusé de réception (TGI Paris, réf., 29 oct. 2007, Juriscom.net, comm. L. Thoumyre, « L’art et la manière de notifier l’hébergeur 2.0 », CCE février 2008, p. 18) ;
- il est nécessaire de solliciter d’abord le retrait auprès du principal intéressé, auteur des contenus, avant d’envoyer notification à l’hébergeur, et d’en rapporter la preuve : « que [JFG Networks], seulement informée de ce qu’un courrier électronique avait été apparemment adressé à l’auteur des textes la veille de sa saisine, pouvait estimer qu’il n’avait pas été satisfait à l’obligation de solliciter d’abord le retrait auprès du principal intéressé » (TGI Paris, réf., 16 juin 2008, Juriscom.net).
Jean-Louis Fandiari
Consultant Réglementation des TIC
jlfandiari@hotmail.com