C’est l’intention du gouvernement qui ressort de l’audition de Christine Albanel devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale, avant l’examen, très prochainement, du projet de loi Création sur internet (voir la video de cette audition [assemblee-nationale.fr]).
Le schéma de la riposte graduée est connu :
L’internaute qui télécharge illégalement recevra une première « recommandation » par l’intermédiaire de son fournisseur d’accès à internet. Si l’internaute persiste dans les 6 mois, un nouveau courriel lui sera adressé, assorti d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Ensuite, la Haute Autorité pourra prononcer une sanction, évaluée en fonction de la gravité de la contrefaçon et qui pourra être de trois ordres (au caractère non cumulatif, depuis un amendement de la Commission des lois du 18 février) :
Aux termes d’un autre amendement, les « recommandations » adressées aux abonnés feront état, notamment, de la date et de l'heure des usages illicites constatés, mais ne feront toujours pas mention du contenu des éléments téléchargés ou mis à disposition, ceci au nom de la vie privée de l’internaute. A noter que la Commission de protection des droits de la Hadopi (1) ne pourra être saisie que des faits remontant à moins de six mois. Passé ce délai, il y aura forclusion.
Le déclenchement de la sanction est donc l’envoi d’une lettre recommandée. A ce sujet, inutile pour le destinataire de la lettre de ne pas la réceptionner. Conformément au droit commun, il sera réputé avoir pris connaissance de son contenu à la date d’envoi et non à celle de sa réception (« raccourcissant d’autant le délai au terme duquel la commission de protection des droits sera fondée à intervenir en cas de récidive », comme il ressort des débats sur les amendements).
S’y ajoutera même une « sanction financière » (selon l’expression du député Patrick Bloche) dans la mesure où le paiement de l’accès à internet ne sera pas interrompu par la suspension (ce qui est censé venir compenser le coût d’établissement par les FAI de la correspondance entre les adresses IP et l’identité des internautes).
Le ministère de la culture prévoit déjà l’envoi de « 10 000 courriels d’avertissement par jour, 3 000 lettres recommandées d’avertissement par jour et 1 000 décisions par jour ». Toujours selon la ministre, « le budget à la charge de l’État s’élève à environ 6,7 millions d’euros dans la loi de finances pour 2009 ».
Le fondement juridique de ces actions est lui aussi connu.
C’est celui du défaut de surveillance de l’accès à internet, lequel est déjà à la charge de l’abonné (actuel article L. 335-12 CPI, futur article L. 336-3 CPI).
Ainsi les ayants droit pourront saisir le juge pénal (sur le fondement de la contrefaçon) ou bien la Hadopi (pour manquement à l’obligation de surveillance de l’abonné), sur la base des constats dressés par les agents assermentés.
A ce sujet, au reproche d’un cumul possible des sanctions entre sanction pénale et sanction administrative (2), le rapporteur de la Commission des lois a rétorqué que les faits générateurs de chaque procédure étant différents, des sanctions différentes étaient justifiées : « la procédure pénale sanctionne une reproduction non autorisée assimilée à de la contrefaçon ; dans l’autre, la sanction administrative réprime le défaut de surveillance par un abonné de son accès à internet (…). Par ailleurs, les procédures peuvent concerner deux personnes différentes, à savoir le pirate et l’abonné. Enfin le parquet demeure libre de l’opportunité des poursuites et peut orienter les ayants droit vers la HADOPI ». Le ministère public pourra, en effet lui aussi, être à l’origine d’une action de la Commission de protection des droits, à côté des ayants droit lésés.
Une identification directe sans l’intermédiaire du juge
Les agents publics mandatés par la Commission de protection des droits pourront obtenir directement des opérateurs de communications électroniques 4 sortes de données relatives à l’identification du titulaire de l’abonnement en cause, à savoir :
- son identité,
- son adresse postale,
- son adresse électronique
- et ses coordonnées téléphoniques.
Il est aussi prévu que lesdits agents publics pourront avoir accès aux caractéristiques techniques des communications et à la localisation des équipements terminaux.
La sanction administrative prononcée par la Commission de la Hadopi pourra faire l’objet d’un recours - non suspensif - en annulation ou en réformation par les intéressés devant les juridictions judiciaires (lesquelles devront être désignées par décret).
Il aurait été opportun, comme le remarquait le député J. Dionis du Séjour, d’avoir connaissance du rapport d’application de la loi DADVSI, qui tarde à être rédigé, avant de vouloir légiférer à nouveau sur le même thème. Ceci alors que la Commission parlementaire européenne « Affaires juridiques » doit connaître à Strasbourg, le jeudi 12 mars, du rapport de la Commission européenne sur l'application de la directive 2001/29/CE sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information… laquelle a donné lieu à la loi DADVSI.
Sandrine Rouja
Rédactrice en chef de Juriscom.net
(1) La Commission de protection des droits (composante, avec le Collège de la Haute Autorité, de la future Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet [Hadopi]) sera plus particulièrement chargée de mettre en œuvre les mécanismes de prévention et de sanction.
(2) Il semble que cette répartition des actions ne soit pas encore très claire dans l'esprit du législateur comme du gouvernement. Didier Mathus a rappelé l’exposé des motifs du projet de loi qui affirme que la procédure devant la Hadopi a vocation à se substituer aux poursuites pénales actuellement encourues. Pour la ministre de la culture lors de son audition, la sanction pénale viendrait alors en complémentarité avec le dispositif administratif, et serait réservée aux « plus endurcis ».