A propos de l'ordonnance du TGI Paris du 9 février 2009, Kimberley P. c/ Vincent B., Sivit, Universpodcast, MySpace Inc et ZePeople
Dans une affaire relative à la violation du droit à l'image d'une mannequin commise sur les pages web d'un jeune DJ, le TGI de Paris a rejeté la demande tendant à obtenir la condamnation des sociétés Sivit, Universpodcast, MySpace Inc et ZePeople, qui hébergeaient ces pages, à payer des sommes à valoir sur les dommages et intérêts.
L'ordonnance en date du 9 février 2009 a notamment refusé de suivre l'argumentation de la demande qui visait, pour les soustraire aux causes d'exonération de responsabilité attachée au statut d'hébergeur, à requalifier les sociétés défenderesses en "éditeurs".
Parmi les raisons évoquées par le juge, il y en a une qui mérite d’être soulignée, non seulement parce que c’est la première fois qu’elle apparaît, mais aussi et surtout parce qu’elle trouve un appui sur la lettre même de la LCEN.
TGI Paris : serait éditeur celui qui intervient dans la création d'un contenu
Le TGI a, en effet, tenu à préciser « qu’il n’est pas soutenu que les sociétés défenderesses ont pu, avant la mise en ligne des contenus en cause, intervenir de quelque manière que ce soit dans leur création ».
D’où provient ce critère de l’« intervention dans la création d’un contenu », qui permettrait de définir l’activité d’un éditeur ?
La question est légitime car la jurisprudence a plusieurs fois recouru à une autre critère, tant pour écarter la qualification d’éditeur (TGI Paris, 3 juin 2008, Lafesse c/ OVH et autres ; TGI Paris, 14 novembre 2008, Youtube c/ Lafesse ; TGI Paris, 15 avril 2008, Dailymotion c/ Lafesse) que pour l'attribuer (TGI Paris, 15 décembre 2008, C. L. c/ M. K.) à une personne morale. Ce critère, c'était celui de la « détermination des contenus des fichiers mis en ligne » ou du « choix des contenus mis en ligne ».
Par ailleurs, on le sait bien, si l’hébergeur est clairement défini par la loi à l’article 6.I.2 de la LCEN, l’éditeur, lui, n’a pas bénéficié de la même attention.
Il est cependant partout fait référence cette notion d'"éditeur" au sein de la LCEN. Pour mémoire, l’article 6.II al 2 fait obligation aux fournisseurs d’accès et hébergeurs de fournir « aux personnes qui éditent un service de communication au public en ligne des moyens techniques permettant à celles-ci de satisfaire aux conditions d'identification prévues au III ». L’article 6.III, lui, définit précisément les informations qui doivent être mis à la disposition du public par l’éditeur professionnel et celles qui doivent être communiquées à l’hébergeur par l’éditeur non professionnel qui souhaite préserver son anonymat. L’article 6.IV al 2 précise, enfin, les modalités d’exercice du droit de réponse auprès des éditeurs de services de communication au public en ligne, notamment auprès de « la personne éditant à titre non professionnel » ayant « conservé l'anonymat ». Dans ce cas, la demande d’exercice du droit de réponse doit être adressée à l’hébergeur qui « la transmet sans délai au directeur de la publication ».
Il faut remonter à l’article 6.II, al 1er, pour comprendre le rôle attribué à cet énigmatique « éditeur de service de communication au public en ligne ». Cet article fait obligation, notamment aux hébergeurs, de détenir et conserver « les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont elles sont prestataires ». Nulle part ailleurs au sein de la LCEN il n’est fait référence à l’existence de ce « quiconque » qui a « contribué à la création du contenu » … à moins, bien entendu, que ce « quiconque » ne soit ... « l’éditeur » lui-même !
LCEN : est éditeur celui qui contribue à la création d'un contenu
Ainsi, si la loi du 21 juin 2004 n’a pas pris le soin de définir explicitement l’éditeur, elle semble bien le désigner implicitement dans son article 6.II al 1er comme « celui qui contribue à la création du contenu ».
Cette déduction serait en cohérence avec l’esprit du législateur. A tout le moins le rapport des députés Jean Dionis du Séjour et Corinne Erhel du 23 janvier 2008 sur la mise en application de la LCEN indique que « La frontière entre le statut d’hébergeur et celui d’éditeur doit donc bien rester, comme l’a voulu la loi (…) la capacité d’action sur les contenus ».
Une ordonnance récente du TGI de Paris avait, en outre, souhaité définir le rôle de l’éditeur à travers sa capacité d’action sur les contenus ou, plus précisément, son action créatrice : « L’hébergeur se distingue ainsi de l’éditeur de site, qui est la personne, physique ou morale qui fournit le service de communication au public par voie électronique, en définit et crée le contenu éditorial et est responsable de celui-ci » (TGI Paris, 15 décembre 2008, Claire K. c/ JFG Networks).
Revenons maintenant sur l’ordonnance du 9 février qui indique, à l’appui de son argumentation destinée à rejeter la qualification d’éditeur pour les sociétés défenderesses « qu’il n’est pas soutenu qu’[elles] ont pu, avant la mise en ligne des contenus en cause, intervenir de quelque manière que ce soit dans leur création ».
Le visa de cette motivation n’est certes pas explicite, on ne pourrait toutefois nier qu’elle trouve son fondement légal dans l’article 6-II. Entre les verbes « intervenir sur … » et « contribuer à … », il n’y a guère plus, cette fois-ci, qu’un détail sémantique.
Pierre Mimja
Juriste IP/IT
mimjap@gmail.com