A propos de l’ordonnance de référé du Tribunal de grande instance de Paris en date du 5 mars 2009, Roland Magdane et autres c/ YouTube
Dans une ordonnance de référé rendue le 5 mars dernier (1), la Vice-Présidente du Tribunal de grande instance de Paris, tout en considérant que l’obligation de conservation des données d’identification s’impose aux hébergeurs même en l’absence de décret d’application, a jugé qu’il n’est pas à ce jour exigé que l’hébergeur fournisse les noms et adresses de l’éditeur d’un contenu en ligne (2).
Ainsi, le juge a estimé, suivant les conclusions de l’hébergeur, que « l’adresse IP (…) permet d’identifier une personne en indiquant sans aucun doute possible un ordinateur précis et (…) établit la correspondance entre l’identifiant attribué lors de la connexion et l’identité de l’abonné ».
En conséquence, dans cette affaire opposant (à nouveau) YouTube à , une fois n’est pas coutume, l’humoriste Roland Magdane (à propos de la mise en ligne non autorisée de ses sketches), le juge a décidé qu’« en détenant et en conservant l’email ainsi que l’adresse IP des éditeurs », données « qui sont de nature à permettre leur identification », YouTube avait bien rempli l’obligation de conservation que lui impose l’article 6-II de la LCEN.
Le juge des référés a adopté la position, déjà exprimée par le passé (3), selon laquelle l’existence de l’obligation de conservation ne peut être remise en cause et l’adresse IP est une donnée d’identification suffisante. Le juge n’a donc pas suivi la position récemment adoptée par la Cour d’appel de Paris le 7 janvier 2009. On se rappelle en effet que, dans cet arrêt rendu sur appel d’une ordonnance de référé, le Cour d’appel avait considéré que l’obligation de conservation ne peut être, en l’état actuel des textes, imposée aux hébergeurs (4).
Quelle tendance dégager aujourd’hui sur cette question et quelles données conserver ? Il est bien difficile de le dire. Les décisions se suivent mais ne se ressemblent pas, ce qui instaure à l’évidence une grande insécurité juridique, tant pour les ayants droit, que pour les hébergeurs.
Car il n’est pas du tout certain que l’adresse IP aboutisse réellement, et dans tous les cas, à l’identification d’une personne physique et soit donc une « donnée permettant l’identification » de toute personne contribuant à la création d’un contenu. Est-ce à dire qu’il faut imposer aux hébergeurs l’obligation de conserver les adresses et numéros de téléphone, comme ont pu récemment le décider plusieurs juridictions en se fondant sur l’article 6-III LCEN (5) ? Une telle collecte serait-elle au demeurant pertinente et proportionnée au regard de la finalité envisagée et donc de la loi Informatique et Libertés ?
L’enjeu est de taille puisque l’obligation de conservation des données d’identification est sanctionnée pénalement d’un an d’emprisonnement et de 75 000 Euros d’amende (le quintuple pour une personne morale, soit 375 000 Euros). Son non-respect peut également constituer une faute civile punissable sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Il est donc plus que jamais temps que le décret de l’article 6-II soit publié et l’on ne s’explique pas le silence du Premier ministre, alors même que ce décret est en préparation depuis près de deux ans déjà . Espérons que les informations récentes circulant sur la toile et annonçant la publication, dans les prochaines semaines, de ce fameux décret, se révèlent exactes !
Iliana Boubekeur
Avocat aux barreaux de Paris et de New-York
Baker & McKenzie
iliana.boubekeur@bakernet.com
(1) Cette ordonnance est intéressante à plus d’un titre. Nous nous contentons de la traiter ici sous l’angle de l’obligation de conservation des données d’identification.
(2) L’article 6-II de la loi n° 2004-575 pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 impose aux fournisseurs d’accès à Internet et aux hébergeurs de détenir et conserver « les données de nature à permettre l’identification de quiconque à contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires ». Le décret doit le 6-II, qui doit être adopté en Conseil d’Etat après avis de la CNIL aura pour objet de définir les données à conserver et de déterminer la durée et les modalités de conservation de ces données. Ce décret n’est pas paru depuis la promulgation de la LCEN. Il est même en réalité attendu depuis la loi du 1er août 2000…
(3) Position notamment exprimée par le juge des référés dans l’affaire Métrobus c/ Ouvaton, TGI Paris, ord. réf., 2 février 2004 : « (…) tant l’adresse IP de l’ordinateur, que l’adresse électronique pour réclamer des prestataires concernés les coordonnées dont ceux-ci disposent (…) doivent être considérés comme satisfaisant à l’injonction et de nature à permettre à la requérante d’obtenir les éléments d’identification des éditeurs du site ».
(4) CA Paris, 7 janvier 2009, Raphael M., Sté Troye dans l'Aube Prod, Christine E. c/ Sté Youtube Inc. « Les éléments d’identification personnelle que l’hébergeant est susceptible de recueillir à l’occasion des mises en ligne ne font pas actuellement, en l’absence de décret d’application de la loi LCEN du 21 juin 2004 l’objet d’une communication susceptible d’être ordonnée ; qu’il n’apparaît pas au demeurant que le projet de décret fasse obligation à l’hébergeur de collecter les noms, prénoms, adresses et numéros de téléphone de l’éditeur du contenu ; (…) en conséquence que la communication sollicitée sera limitée aux documents proposés par la Sté Youtube; (...) ».
(5) CA Paris 14ème ch., sect. A, 12 décembre 2007, Google c/ Benetton & Bencom ; TGI Paris, 3ème ch. 2ème sect., 14 novembre 2008, Lafesse c/ YouTube ; TGI Paris, ord. réf. 19 novembre 2008, Lafesse c/ Dailymotion, présidence de Madame Marie-Christine Courboulay.