Le projet de loi « création et internet » (voté à l’Assemblée Nationale le 12 mai 2009) est décidemment plein de surprise. Au delà des débats très médiatiques relatifs à la riposte graduée, un amendement1, porté par le député Jean Dionis du Séjour, est resté relativement inaperçu. Pourtant, cette disposition qui crée une nouvelle catégorie d’acteur sur internet, i.e. les éditeurs de service de presse en ligne, suscite de nombreuses interrogations dont le juriste doit se faire l’écho.
Si, en application du principe de neutralité technologique, il est légitime que les éditeurs de presse en ligne bénéficient des mêmes avantages « fiscaux »2 que les éditeurs de presse classiques, il est, en revanche, loisible de s’interroger sur l'opportunité de créer un régime de responsabilité annexé à l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle venant régir la responsabilité de ces mêmes éditeurs de presse en ligne concernant les infractions de presse commises par des utilisateurs du volet participatif proposé par ces sites.
Explications :
Selon la lettre de l’article 12-I du projet de loi « création et internet », « on entend par service de presse en ligne tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d'un contenu original... ».
Premier enseignement : Il semble donc que l'article 12-I du projet fasse des services de presse en ligne une sous catégorie des services de communication au public en ligne.
Second enseignement : L'éditeur de presse en ligne aurait une responsabilité éditoriale lorsqu'il a la maîtrise éditoriale de son contenu, c'est à dire juridiquement parlant, une responsabilité de plein droit dès lors que cet éditeur a procédé à une fixation préalable du contenu (i.e. lorsque le contenu peut être contrôlé selon l'interprétation de la CEDH dans sa décision Radio France c. France du 30 mars 2004).
A cela rien à redire.
Néanmoins, le projet précise que « lorsque l'infraction résulte du contenu d'un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contribution personnel identifié comme tel, le directeur de la publication ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ».
Cette disposition n'est pas sans rappeler l'article 6-I-3 de la loi pour la confiance en l'économie numérique du 21 juin 2004 consacré à la responsabilité pénale des hébergeurs et selon lequel « les personnes visées au 2 ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à raison des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicites ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l'accès impossible ».
D'ailleurs de l’aveu même du député Dionis du Séjour : « Pour ce qui concerne l’aspect journalistique et éditorial, le directeur de publication en ligne est évidemment responsable en tant qu’auteur, éditeur et hébergeur. Il nous a paru capital de préserver la cohérence avec la LCEN, la loi pour la confiance dans l’économie numérique, pour ce qui concerne le domaine journalistique ainsi que le domaine participatif – blogs ou forums. En ce dernier domaine, nous estimons que la responsabilité éditoriale du directeur de la publication ne doit pas être engagée s’il n’a pas eu connaissance de l’information avant sa mise en ligne» (débat parlementaire du 2 avril 2009)3.
L'article 12-II aurait pour vocation de faire bénéficier les éditeurs de presse en ligne du régime juridique des hébergeurs prévus par la LCEN.
Sauf que...
1/ Cette finalité n'est exprimée que dans les débats parlementaires qui, pour le moins, n’ont pas une force contraignante à toute épreuve et risque de remettre en cause les équilibres entre les libertés des internautes et les droits des tiers (d’auteur notamment) aménagés par la LCEN.
2/ Il s'agit d'un très mauvais copier / coller des articles 6-I-2 (responsabilité civile) et 6-I-3 (responsabilité pénale) de la LCEN. En effet, le fait générateur de responsabilité des hébergeurs est, selon les termes de la LCEN, la connaissance du caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère.
Or, la limitation de responsabilité des éditeurs de service de presse en ligne omet la condition d'illicéité du contenu. Outre les risques qu'un tel oubli peut faire courir à la liberté d'expression, le projet d'article 12 subordonne la mise en œuvre de la responsabilité des éditeurs de presse en ligne à des conditions moins restrictives que le régime prévu par la LCEN. Est-ce vraiment le but recherché ?
En tout état de cause, il semble que le projet de texte ne soit dès lors pas en concordance avec les propos du député Dionis du Séjour tenus devant l'assemblée nationale et selon lequel : « Dès lors, les dispositions de la LCEN s’appliquent : sitôt que le directeur de la publication a connaissance d’un contenu délictuel, obligation lui est faite de le retirer promptement ».
3/ Le texte n'applique pas ce régime de responsabilité à l'éditeur de service de presse en ligne mais bien à l'ensemble des personnes qui éditent un service de communication au public en ligne au nombre desquels l’hébergeur tel que défini par la LCEN. Ce texte aurait donc vocation à s’étendre à d’autres personnes que les éditeurs de presse en ligne et, partant, pourrait rendre caduque l’article 6-I-3 de la LCEN en ce qui concerne les infractions de presse. Or, un tel amalgame semble plus que nuisible aux libertés individuelles et notamment à la liberté d’expression. Manifestement dans un tel cas de figure il sera plus permis au diffamant présumé de faire valoir l’exception de bonne foi ou de vérité dès lors que l’éditeur de service de communication au public en ligne est dans l’obligation de retirer un message du fait de sa simple connaissance.
La question est donc la suivante :
Pourquoi créer un régime de responsabilité alors qu'en tout état de cause, l'éditeur qui n'a pas effectué de fixation préalable ne pourra voir sa responsabilité éditoriale de plein droit engagée? Par contre, en application des dispositions de la LCEN, lorsque le contenu est adressé sur un service de presse en ligne par un internaute alors, le gestionnaire de ce service sera bien la personne qui assure même à titre gratuit pour mise à disposition du public le stockage de contenus fournis par des destinataires du service (définition de l'hébergeur selon les termes de l'article 6-I-2 de la LCEN) et devrait donc être responsable selon les termes des articles 6-I-2 et 6-I-3 de la LCEN.
Pourquoi donc créer un tel régime de responsabilité qui manifestement vient obscurcir le débat alors que les éditeurs de presse en ligne peuvent déjà en l'état du droit positif bénéficier du régime protecteur des hébergeurs sur le fondement des dispositions de la LCEN lorsque le contenu est fourni par un internaute.
Ronan Hardouin
ATER Laboratoire DANTE
Chargé d’enseignement Master II NTIC
Université de Versailles – St Quentin
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1 Article 12 du projet de loi.
2 Notamment en termes d'exonération de taxe professionnelle.
3 http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2008-2009/20090214.asp#P1966_359708
4 Seulement en ce qui concerne le volet civil.
5 http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2008-2009/20090214.asp#P1966_359708