Les Sénateurs ont voté, mercredi 8 juillet, le projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet » (dit HADOPI 2) présenté par la Ministre de la justice, Michèle Alliot-Marie.
Ce projet de loi fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009 (1), qui a censuré le volet « sanction » de la loi « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet » (dite loi HADOPI 1 ou « Création et Internet » (2)). Il est ainsi apparu nécessaire de compléter le dispositif d’avertissement confié à la HADOPI, afin de rendre plus crédible et efficace l’action préventive validée par le Conseil. C’est l’objectif que s’est fixé le projet de loi HADOPI 2 soumis au vote du Sénat, et censé tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel.
Le projet de loi, amendé en commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, a été adopté en séance publique après à peine 4 heures 30 de débats, seul un amendement complémentaire ayant été voté.
Le projet de loi tel qu’issu du vote des sénateurs prévoit ainsi deux mécanismes de sanction.
Le premier mécanisme de sanction repose sur l’acte de contrefaçon lui-même. C’est une nouveauté du projet de loi, puisque la loi HADOPI 1 ne prévoyait pas de sanction à l’encontre du contrefacteur mais uniquement à l’encontre de l’abonné n’ayant pas sécurité sa connexion Internet.
Désormais, lorsque l’acte de contrefaçon est commis au moyen d’un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques, son auteur pourrait en principe se voir condamné, non seulement à la peine d’emprisonnement et à l’amende déjà prévues par les articles L. 335-2, L. 335-4 et L. 335-5 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), soit 3 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende, mais en outre, « à la peine complémentaire de suspension de l’accès à un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques, pour une durée maximale d’un an, assortie de l’interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur » (nouvel article L. 335-7 CPI). De surcroît, comme dans la loi HADOPI 1 censurée, le projet de loi dispose que « la suspension de l’accès n’affecte pas, par elle-même, le versement du prix de l’abonnement au fournisseur de service [FAI] », l’article L. 121-84 du Code de la consommation n’étant pas applicable pendant la période de suspension. En conséquence, en cas de résiliation, l’abonné supporte les frais de cette résiliation.
Le projet de loi durcit donc quelque peu les sanctions à l’encontre d’un contrefacteur qui utilise Internet comme mode de commission du délit, et distingue ainsi la situation du contrefacteur selon le mode de commission de l’infraction.
Par ailleurs, le Sénat a validé le choix du gouvernement d’un recours possible à l’ordonnance pénale pour les contrefaçons commises sur Internet. Pour le rapporteur du texte, Michel Thiollière, « la possibilité de recours au juge unique et à l'ordonnance pénale répond à un souci d'efficacité de la procédure » (3). Dans cette configuration, le Tribunal correctionnel, statuant à juge unique, pourra condamner un internaute contrefacteur au terme d’une procédure simplifiée, écrite et non contradictoire. Certains sénateurs ont critiqué ce dispositif, le jugeant inadapté pour juger de délits complexes à établir tels que la contrefaçon sur Internet. L’article 495 du Code de procédure pénale précise en effet que « le ministère public ne peut recourir à la procédure simplifiée que lorsqu’il résulte de l’enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine ». Or de sérieuses questions peuvent se poser sur la vraisemblance de l’imputabilité découlant d’une adresse IP, et en conséquence sur l’adéquation de cette procédure, lorsque l’on sait à quel point une adresse IP peut être facilement détournée. Il faut s’attendre à de vifs débats à l’Assemblée nationale sur ce point.
A noter que cette procédure n’est pas applicable si le prévenu était mineur au moment des faits (ce qui risque de se produire fréquemment) ou si les ayants droit se portent partie civile et sollicitent des dommages et intérêts. Dans ce cas, le recours à la procédure classique s’imposera. A cet égard, la commission de la culture a adopté un amendement permettant aux ayants droit d’être informés des procédures en cours. Si les ayants droit se déclarent partie civile, c’est donc la procédure classique qui devra s’appliquer.
L’internaute contrefacteur pourra faire opposition au jugement ainsi prononcé. Il faut s’attendre à une explosion des recours si la procédure venait à être validée et mise en œuvre à grande échelle.
Enfin, avec la disparition du fichier des « suspendus » prévu par la loi HADOPI 1 censurée, l’internaute qui se réabonnerait au mépris de l’interdiction imposée par le juge est passible d’une peine de 2 ans de pris et 30 000 Euros d’amende, sur le fondement de l’article 434-41 du Code pénal sanctionnant l’atteinte à l’autorité de la justice.
Le deuxième mécanisme de sanction concerne le défaut de sécurisation par l’abonné de sa connexion Internet.
La commission de la culture du Sénat a souhaité créer un article spécifique pour préciser le dispositif prévu par décret. L’abonné qui ne serait pas contrefacteur mais aurait fait preuve d’une « négligence caractérisée » en dépit d’une recommandation de la HADOPI adressée par lettre remise contre signature serait passible d’une contravention de 5ème classe (1 500 Euros). La contravention pourrait être assortie de la suspension de l’accès à Internet pour une durée maximale d’un mois. Un décret devrait préciser l’infraction. Enfin, en cas de réabonnement de l’internaute, ce dernier serait passible d’une amende de 3 750 Euros.
Pour faire le lien avec le mécanisme d’avertissement, la commission de la culture du Sénat a adopté un amendement disposant que les recommandations de la commission de protection des droits devront avertir l’abonné des sanctions encourues en application des nouveaux articles L. 335-7 et L. 335-7-1 CPI.
Par ailleurs, pour faciliter le travail des autorités judiciaires, le projet de loi habilite les membres de la commission de protection des droits et les agents assermentés de la HADOPI à constater les infractions de contrefaçon punies par les articles L. 335-2, L. 335-4 et L. 335-5 CPI lorsqu’elles sont commises sur Internet. En pratique, la commission de protection des droits effectuera le travail d’enquête et transmettra son dossier au procureur de la République, qui décidera si un complément d’enquête est nécessaire. Cette disposition a également suscité des réactions au Sénat.
Les mêmes problématiques que celles posées lors de l’examen du projet de loi HADOPI 1 risquent donc d’être à nouveau évoquées : le coût et le délai de mise en œuvre, par les FAI, de la suspension de l’accès à Internet, le caractère potentiellement disproportionné de la sanction, qui avait été évoqué dans le recours devant le Conseil mais non examiné ou encore l’atteinte aux droits de la défense.
Les débats ne font que (re)commencer !
Iliana Boubekeur
Avocat aux barreaux de Paris et New York
Baker & McKenzie SCP
iliana.boubekeur@bakernet.com
(1) Décision 2009-580 DC du Conseil constitutionnel disponible sur le site du Conseil, http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/cc-2009580dc.pdf.
(2) Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet », JORF n°135 du 13 juin 2009, page 9666.
(3) Compte-rendu des débats au Sénat, http://www.senat.fr/cra/s20090708/s20090708_mono.html#par_19