Il est aujourd’hui assez indispensable de tenter de répondre à cette question : quel est l’avenir politico-législatif de la loi dite HADOPI 2 après la décision du Conseil constitutionnel en date du 22 octobre 2009 (Décision n° 2009-590 DC) ?
Assez logiquement, et presque légitimement lorsque l’Exécutif est confronté à une vraie difficulté juridique, le ministre de la Culture s’est exprimé le jour même de la décision pour s’en féliciter, et indiquer qu’elle validait le texte de loi. Voici les premières lignes de son communiqué : « Le ministre relève notamment que la possibilité de mettre en œuvre une procédure pénale simple et rapide – juge unique et ordonnance pénale – a été jugée conforme à la Constitution (…) ».
Et le communiqué ajoute, de manière quelque peu contradictoire : « Frédéric Mitterrand a, par ailleurs, pris acte du fait qu’il reviendra au Parlement de préciser dans quelles conditions le juge pourra statuer par ordonnance pénale sur les demandes de dommages et intérêts présentées par les victimes du piratage. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé que rien ne s’opposait, par principe, à une telle disposition, mais qu’il appartenait dès lors au législateur de fixer lui-même le détail des règles applicables et non de les renvoyer à un décret. »
Une nouvelle loi est donc bien annoncée, semble-t-il uniquement pour préciser les choses, pour en fixer le « détail », comme si le mécanisme lui-même, dans son principe, pouvait aujourd’hui entrer en vigueur.
Or tel n’est pas le cas.
Le Conseil a bien refusé la promulgation d’une partie essentielle du texte, par le biais d’une censure partielle pour incompétence négative du législateur, c’est-à -dire, en termes un peu plus clairs, pour méconnaissance du domaine de la loi tel qu’il est détaillé à l’article 34 de la Constitution.
Cet article essentiel, qui fait le départ entre le domaine du règlement, réservé à l’Exécutif et, en quelque sorte, le « domaine réservé » du Parlement, dispose notamment que : « La loi fixe les règles concernant : (…) la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats (…) ».
Rien de plus clair : toutes les règles relatives à la procédure pénale relèvent de la seule compétence du législateur.
Or, aux termes de la décision du Conseil constitutionnel, c’est l’alinéa 2 de l’article 495-6-1 du Code de procédure pénale, issu du projet de loi, qui est déclaré contraire à la Constitution pour incompétence négative.
Voici ce texte, issu de l’article 6 de la loi HADOPI 2 – en réalité le projet de loi « relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet » – tel qu’il fut adopté définitivement par l’Assemblée nationale le 22 septembre 2009 :
« Art. 495-6-1. – Les délits prévus aux articles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle, lorsqu’ils sont commis au moyen d’un service de communication au public en ligne, peuvent également faire l’objet de la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale prévue par la présente section.
« Dans ce cas, la victime peut demander au président de statuer, par la même ordonnance se prononçant sur l’action publique, sur sa constitution de partie civile. L’ordonnance est alors notifiée à la partie civile et peut faire l’objet d’une opposition selon les modalités prévues par l’article 495-3. »
Certes, comme l’a indiqué le ministre dans son communiqué, l’alinéa 1er, qui établit la possibilité de procédure simplifiée, subsiste donc. Mais, de manière assez claire, cette procédure ne pourra être mise en œuvre puisque les modalités de son exercice n’ont pas été suffisamment précisées. Pour qu’elles le soient, il faudra donc, là encore comme le dit le ministre, que le législateur complète sa copie.
Mais aujourd’hui, et en l’absence d’un nouveau texte – qu’il s’agisse d’une loi spécifique, qui sera donc baptisée HADOPI 3 ; ou qu’il s’agisse d’un « cavalier législatif » et donc d’un amendement inséré dans un futur texte, étant rappelé que le Conseil constitutionnel se montre très sévère à l’égard des « cavaliers » sans rapport avec le projet ou la proposition de loi en cause – comment les choses vont-elles concrètement se passer ?
D’une manière générale, il apparaît que la loi sort gravement amputée à la suite de cette censure partielle car, au final, et en l’état, il n’y aura pas de sanctions pénales « accélérées », et si l’on considère l’engorgement chronique des tribunaux et donc, du fait de la censure, la nécessité de saisir des tribunaux correctionnels statuant de manière collégiale, il n’y aura, concrètement, que très peu de décisions, mais en réalité seulement quelques exemples,… comme avant.
On pense à la devise de Tancrède dans le Guépard, ce roman de Lampedusa, qui n’est finalement pas très éloignée de la position actuelle du ministre, et des difficultés réelles qui se présentent à lui : "Il faut que tout change, pour que rien ne change"*.
Et donc la saga continue, pour le plus grand bonheur des juristes mais aussi, bien au-delà d’eux, de tous ceux qui apprécient le commentaire, le décryptage et l’interprétation des textes présentés au Parlement,… et des futures décisions du Conseil constitutionnel.
Me Cyril Rojinsky
Avocat au Barreau de Paris
* Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi!