C’est fait.
Dans les affaires opposant les sociétés Google France et Google Inc aux sociétés Louis Vuitton Malletier, Viaticum, Luteciel et CNRRH (affaires jointes « Louis Vuitton » (C-236/08), « Bourse des vols » (C-237/08) et « Eurochallenges » (C-238/08)), la Cour de justice de l’Union européenne a rendu son arrêt, le 23 mars 2010, et dit pour droit :
« Le prestataire d’un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot clé un signe identique à une marque et organise l’affichage d’annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe au sens de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/104 ou de l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 40/94. »
Sur ce point, la Cour de justice a suivi l’avis rendu par l’Avocat Général Luis Miguel Poiares Pessoa Maduro dans des conclusions déposées le 22 septembre 2009 (voir notre article à ce sujet).
• Pas de contrefaçon ni de complicité de contrefaçon pour les sociétés Google
Pour rappel, la pratique condamnée par les premiers juges français concernait le service Google Adwords qui a autorisé la sélection de marques à titre de mots-clés, sans que les titulaires de ces marques y aient consenti, et permis à certains annonceurs de référencer sur le site Internet de Google, dans la rubrique « liens commerciaux », des liens vers des sites Internet proposant des imitations de produits sous marques (Affaire Vuitton) ou des produits de concurrents (Affaires Bourse des vols et Eurochallenges).
Les sociétés Google avaient été condamnées dans chacune des affaires rappelées ci-dessus, en première instance et en appel, pour contrefaçon de marques.
Dans chacune des affaires, les sociétés Google avaient alors formé un pourvoi en cassation devant la Haute juridiction française.
La Cour de cassation française avait décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne un certain nombre de questions préjudicielles tendant notamment à savoir si l’utilisation d’un mot-clef correspondant à une marque doit être considérée comme un usage de cette marque, exposant l’utilisateur au délit de contrefaçon s’il n’a pas obtenu l’autorisation du titulaire de la marque pour une telle utilisation.
Ce qui était au cœur de la réflexion de la Cour de justice était donc de savoir si le stockage d’un mot-clé par Google et l’organisation de l’affichage de l’annonce de son client à partir dudit mot-clé par le mécanisme du référencement est de nature à contrevenir au droit des marques.
Suivant interprétation de l’article 5, paragraphes 1 et 2, et des articles 6 et 7 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988 ainsi que de l’article 9, paragraphe 1 et des articles 12 et 13 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, la Cour de justice a donc choisi de suivre l’avis de son Avocat Général et décidé que le moteur de recherche Google et le système de publicité Google AdWords n’enfreignent pas le droit des marques .
En substance, la Cour de justice considère que si « le prestataire du service de référencement opère «dans la vie des affaires» lorsqu’il permet aux annonceurs de sélectionner des signes identiques à des marques en tant que mots clés, stocke ces signes et affiche les annonces de ses clients à partir de ceux-ci, il n’en découle pas pour autant que ce prestataire fasse lui-même un «usage» de ces signes au sens des articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n° 40/94.»
Ainsi, les sociétés Google ne sont ni contrefactrices, ni complices d’actes de contrefaçon (faute retenue dans le cadre de l’affaire « Bourse des vols »).
• Les annonceurs qui utilisent Google Adwords peuvent engager leur responsabilité selon l’usage qui en est fait
En revanche, s’agissant des annonceurs qui utilisent le service Adwords, le Cour de justice est beaucoup moins conciliante.
Elle constate « en effet, du point de vue de l’annonceur, (que) la sélection du mot clé identique à la marque a pour objet et pour effet l’affichage d’un lien promotionnel vers le site sur lequel il offre à la vente ses produits ou ses services. Le signe sélectionné en tant que mot clé étant le moyen utilisé pour déclencher cet affichage publicitaire, il ne saurait être contesté que l’annonceur en fait un usage dans le contexte de ses activités commerciales et non dans le domaine privé » et, la Cour de considérer que « S’agissant de l’annonceur achetant le service de référencement et choisissant en tant que mot clé un signe identique à une marque d’autrui, il convient de constater qu’il fait un usage dudit signe au sens de (la) jurisprudence. »
Sur ce point, Google avait soutenu qu’en l’absence d’une quelconque mention des marques protégées dans l’annonce même, l’usage des dites marques en tant que mot clé ne pouvait être considéré comme contrefaisant.
La Cour de justice est catégorique : « la circonstance que le signe utilisé par le tiers à des fins publicitaires n’apparaît pas dans la publicité même ne saurait signifier à elle seule que cette utilisation est étrangère à la notion d’«usage […] pour des produits ou des services» au sens de l’article 5 de la directive 89/104. »
La Cour rappelle par ailleurs qu’elle a déjà jugé « qu’un annonceur qui utilise, dans le cadre d’une publicité comparative, un signe identique ou similaire à la marque d’un concurrent afin d’identifier, explicitement ou implicitement, les produits ou les services offerts par ce dernier et de comparer ses propres produits ou services avec ceux-ci, fait un usage dudit signe «pour des produits ou des services» au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104 [voir arrêts précités O2 Holdings et O2 (UK), points 35, 36 et 42, ainsi que L’Oréal e.a., points 52 et 53]. »
Après avoir rappelé que « le titulaire de la marque ne saurait s’opposer à l’usage d’un signe identique à la marque, si cet usage n’est susceptible de porter atteinte à aucune des fonctions de celle-ci », la Cour de justice précise que la responsabilité des annonceurs sur Internet qui utilisent, de façon illicite, des signes identiques ou similaires à des marques, relève du droit des marques et de la concurrence déloyale.
Elle rappelle par ailleurs qu’il « incombe à la juridiction nationale d’apprécier, au cas par cas, si les faits du litige dont elle est saisie sont caractérisés par une atteinte, ou un risque d’atteinte, à la fonction d’indication d’origine de la marque » et pose la règle d’appréciation en la matière :
- « Lorsque l’annonce du tiers suggère l’existence d’un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque, il y aura lieu de conclure qu’il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine.»
- « Lorsque l’annonce, tout en ne suggérant pas l’existence d’un lien économique, reste à tel point vague sur l’origine des produits ou des services en cause qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui-ci, il conviendra également de conclure qu’il y a atteinte à ladite fonction de la marque.»
S’agissant de l’affaire Vuitton, la Cour de justice va plus loin et rappelle à la Haute juridiction française qu’elle « a déjà jugé, dans le cas d’offre à la vente d’imitations, que, lorsqu’un tiers tente par l’usage d’un signe identique ou similaire à une marque renommée de se placer dans le sillage de celle-ci afin de bénéficier de son pouvoir d’attraction, de sa réputation et de son prestige, ainsi que d’exploiter, sans aucune compensation financière et sans devoir déployer des efforts propres à cet égard, l’effort commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer et entretenir l’image de cette marque, le profit résultant dudit usage doit être considéré comme indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque (arrêt L’Oréal e.a., précité, point 49). »
Et la Cour de conclure sur ce point :
« Les articles 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, et 9, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers. »
• Les sociétés Google bénéficient, a priori, du statut favorable d’hébergeur et des limites de responsabilité y afférents
S’agissant du stockage et de l’affichage des annonces publicitaires par les sociétés Google, la Cour relève par ailleurs que « la seule circonstance que le service de référencement soit payant, que Google fixe les modalités de rémunération, ou encore qu’elle donne des renseignements d’ordre général à ses clients, ne saurait avoir pour effet de priver Google des dérogations en matière de responsabilité prévues par la directive 2000/31. »
Selon la Cour de justice de l’Union européenne, les sociétés Google pourront donc bénéficier de la limitation de responsabilité prévue par l’article 14 de la directive n°2000/31 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»).
La Cour de justice considère que la limitation de responsabilité des hébergeurs pourra bénéficier aux sociétés Google sauf si « la juridiction nationale, qui est la mieux à même de connaître les modalités concrètes de la fourniture du service dans les affaires au principal, » est à même d’apprécier que le rôle exercé par les sociétés Google dans le cadre de leur service de référencement n’est pas neutre.
Et la Cour de conclure sur ce point :
« L’article 14 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), doit être interprété en ce sens que la règle y énoncée s’applique au prestataire d’un service de référencement sur Internet lorsque ce prestataire n’a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées. S’il n’a pas joué un tel rôle, ledit prestataire ne peut être tenu responsable pour les données qu’il a stockées à la demande d’un annonceur à moins que, ayant pris connaissance du caractère illicite de ces données ou d’activités de cet annonceur, il n’ait pas promptement retiré ou rendu inaccessibles lesdites données. »
Autant dire que le moteur de recherche Google et le service Adwords ont encore de beaux jours devant eux, les litiges s’agissant de l’usage de marques en tant que mots-clés se décaleront nécessairement des sociétés Google vers les annonceurs Internet qui pourront, selon l’usage qui sera fait, voir leur responsabilité engagée sur les terrains de la contrefaçon des marques et de la concurrence déloyale voire parasitaire.
Gageons que la décision de la Cour de justice de l’Union européenne commentée ci-dessus et la règle d’appréciation qu’elle a posée aura un impact dans des litiges en cours entre titulaires de marques et annonceurs notamment s’agissant des affaires opposant les sociétés LVMH et EBAY.
Vincent Pollard Avocat au Barreau de Marseille vpollard@taj.fr Taj - Société d'avocats Member of Deloitte Touche Tohmatsu Département Propriété Intellectuelle, Nouvelles technologies, Contrats et Distribution
|