Le projet de loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) qui vient d’être voté par les députés en seconde lecture les 7 et 8 janvier 2004, se trouve au centre de bien des controverses.
Tout d’abord, ce projet de loi vient transposer la directive européenne du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, et le retard pris pour son adoption ne cesse de se creuser ! La Commission européenne, qui ne peut se satisfaire de justifications telles qu’une surcharge de travail du Parlement, n’a pas hésité à engager une procédure d’infraction pour ce défaut de transposition dans les délais.
Mais c’est surtout le texte lui-même du projet de loi qui fait l’objet de débats passionnés. Le conflit est ouvert entre le couple hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et l’industrie du disque. Outre le fait que l’Assemblée a rendu le droit de l’Internet autonome par rapport à la communication audiovisuelle, la nouvelle organisation de la responsabilité des hébergeurs et des FAI a soulevé un vent de protestation parmi ces derniers.
Grogne des FAI et hébergeurs contre le filtrage des sites Internet
L’article 2 bis (nouveau) de ce projet de loi fixe le nouveau cadre juridique de l’activité des prestataires techniques sur Internet. Pour résumer, leur responsabilité civile et pénale ne sera mise en cause que si, ayant connaissance du caractère illicite de pages qu’ils stockent, ils ne procèdent pas « promptement » à leur suppression. Bien que le point 7 de l'article 2 bis n’instaure pas une obligation générale de surveillance du contenu des sites, il impose aux hébergeurs de mettre en œuvre les moyens techniques « conformes à l’état de l’art » pour prévenir la diffusion de contenus illicites (tels que l’incitation à la haine raciale, au négationnisme ou à la pédophilie).
Cette "obligation de filtrage", alliée au nouveau régime de responsabilité des fournisseurs d'hébergement, a été très débattue sur les bancs de l’Assemblée nationale. Ses détracteurs l’ont accusée d’encourager les hébergeurs à prévenir une éventuelle mise en œuvre de leur responsabilité en censurant d’office tout contenu douteux, même s’il est licite.
Ce n'est pas tout. L'ancien article 43-12 (devenu aujourd'hui le point 8 de l'article 2 bis) a été maintenu. Celui-ci permet à l'autorité judiciaire de prescrire en référé ou sur requête, aux fournisseurs d'accès ou d'hébergement, "toutes mesures propres à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication publique en ligne, telle que celles visant à cesser de stocker ce contenu ou, à défaut, à cesser d'en permettre l'accès". En un mot : le juge pourra ordonner aux FAI de filtrer des contenus illicites. Cet article semble avoir été adopté pour lutter contre les contenus illicites qui s'échangent sur les réseaux de particuliers à particuliers ou peer-to-peer (P2P)...
Le projet de loi doit encore être discuté en seconde lecture au sénat, le 12 février 2004. Son adoption définitive devrait alors avoir lieu dans le courant du 2ème trimestre 2004. Ce qui laisse peu de temps aux FAI pour organiser leur contre-offensive. Ils menacent tout d’abord de fermer les forums et sites personnels, arguant qu’ils s’opposent à la mise en place d’un filtrage automatique (en reprenant l’argument cité plus haut du risque de censure des contenus licites) ou d’un filtrage manuel (trop coûteux, seuls ceux qui ont les moyens financiers continueraient à effectuer leur service d’hébergement). Selon l’Association des Fournisseurs d’Accès et de services Internet (AFA), des solutions de surveillance et de filtrage sont à l’étude. L’association ne baisse toujours pas les bras. Elle a fait circuler ces derniers jours une pétition qui a connu un franc succès auprès des internautes. Elle est allée par ailleurs rencontrer Nicole Fontaine, Ministre déléguée à l’Industrie, afin qu’elle parvienne à faire supprimer les articles litigieux auprès des parlementaires.
Mais aucun engagement de la part de la Ministre n’a été émis. L’AFA garde toujours contact et s’investit auprès des députés et des sénateurs. L’industrie du disque, quant à elle, regarde d’un mauvais œil la grogne des hébergeurs et des FAI.
Les FAI accusés par l’industrie du disque de complaisance envers le piratage en ligne
Globalement, c’est le marché audiovisuel qui est en cause et, s’il est question ici de l’industrie du disque, celle du cinéma ne devrait pas non plus être épargnée par le piratage en ligne.
Selon le président du Syndicat National de l'Edition Phonographique (SNEP), les livraisons de disques aux détaillants en 2003 ont diminué de près de 15%. Il n’hésite pas à pointer du doigt le retard pris par la France à transposer la directive européenne et vilipende la trop vive réaction des FAI contre ce projet de loi. Cette critique n’est pas isolée.
En effet, le président de la SCPP (qui est aussi le PDG d’Universal Music France) accuse directement les FAI d’une certaine complaisance envers le piratage en ligne. Les FAI promouvraient selon lui le téléchargement en général, qu’il soit légal ou illégal, et ce notamment à travers l’échange de fichiers de particuliers à particuliers ou peer to peer (P2P).
Ainsi, pour lutter contre le piratage et responsabiliser les internautes, les députés ont voté un amendement qui impose aux FAI une obligation d’information « légale facilement identifiable et lisible rappelant que le piratage nuit à la création artistique ». L’obligation d’information s’étend à toute « publicité et toute promotion de téléchargement de fichiers » article 2 quater (nouveau). Cet amendement a recueilli l’unanimité des votes des députés.
Le président de la Société Civile des Producteurs de Phonogrammes (SCPP) est conscient que la lutte contre le piratage passe nécessairement par une offre élargie de musique en ligne légale. Mais il se déclare prêt à imiter l’exemple américain en poursuivant les internautes qui abusent du téléchargement.
Dans la recherche d’un équilibre entre la responsabilité des hébergeurs et celle des internautes, une autre accusation est dirigée contre les FAI, celle de mettre à disposition des téléchargeurs le haut-débit indispensable à l'échange de fichiers sur les réseaux P2P. D’où la mise en avant d’une autre solution…
Parmi les solutions avancées : la surtarification de l’uploading
Une étude de l’Ecole des Mines propose, comme moyen de contrer le téléchargement illégal, de surtarifier le téléchargement montant (upload). Cette pratique est déjà appliquée dans d’autres Etats comme l’Allemagne ou le Canada :
« Les comportements des heavy users pourraient amener les FAI à modifier leurs offres ADSL en faisant payer les mégaoctets supplémentaires à partir d'un plafond de volume » estime Roland Montagne, expert des réseaux haut débit à l'Idate.
Cette solution, si elle était adoptée, devrait dissuader – dit-on – la mise à disposition des fichiers protégés par les droits de propriété intellectuelle dans les réseaux P2P et encourager le téléchargement (download).
Une responsabilisation accrue des intermédiaires techniques de l’Internet, une offre de musique légale moins onéreuse et élargie, des sanctions à l’encontre des internautes, une surtarification de l’uploading, ou encore la création d’une licence légale perçue auprès des FAI en rémunération des ayants droits… voilà toute une batterie de solutions qui doivent encore s’affiner pour configurer une pratique de l’Internet de demain plus sûre et plus respectueuse des droits de propriété intellectuelle.
Sandrine Rouja
Secrétaire de rédaction de Juriscom.net