Voilà que la justice hollandaise, dans le conflit déchaîné qui oppose les titulaires de droits d’auteur aux contrefacteurs sur Internet, met hors de cause un moteur de recherche visité par environ 50 000 internautes par jour (Joe Figueiredo, "Court clears Dutch music search engine of copyright violation", DMeurope.com, 13 mai 2004). En effet, le tribunal d’Haarlem, par une décision du 12 mai 2004, a rejeté la demande de l’association locale contre le piratage, le Stichting Brein, tendant à faire reconnaître le moteur "Zoekmp3" coupable de contrefaçon au motif qu’il référence des sites web proposant de télécharger de la musique au format mp3 sans l’autorisation des titulaires des droits.
Pour les juges néerlandais, le fait de mettre à disposition des liens vers des fichiers illégaux n’est pas illégal dès lors que, selon eux, télécharger (downloader) des fichiers illégaux sans les partager (uploader) ne l’est pas. C’est évidemment la législation en vigueur au Pays-Bas qui a motivé leur décision. D’après celle-ci, un particulier peut effectuer des copies d’œuvres protégées par le droit d’auteur à condition qu’il ne les mette pas à disposition du public, et ce, peu importe qu’il détienne l’original (Article 16.b du Copyright Act de 1912 [ivir.nl]).
Cette décision, pour le moins isolée en Europe, rejoint celle [cb-cda.gc.ca] de la Commission canadienne du droit d’auteur, publiée le 12 décembre 2003, selon laquelle la loi sur le droit d’auteur "n’exige pas que la copie d’origine soit une copie légale [et qu’il n’] est donc pas nécessaire de savoir si la source de la pièce copiée est une piste appartenant au copiste, un CD emprunté, ou encore une piste téléchargée d’Internet" pour conclure que télécharger sur Internet constitue un acte de copie privée tout à fait légal à condition cependant de ne pas vendre, louer ou encore communiquer la copie au public (Nicolas Vermeys, "Au Canada, le téléchargement de MP3 sur les réseaux P2P peut-il être légal ?", Juriscom.net, 5 janvier 2004). Cette décision a d'ailleurs été confirmée par un arrêt [fct-cf.gc.ca - PDF] de la Cour Fédérale du Canada rendu le 31 mars dernier (Nicolas Vermeys, "Citoyens canadiens, téléchargez en paix !", Juriscom.net, 5 avril 2004).
Selon certains, la législation française pourrait, elle aussi, permettre une telle décision, l’article L. 122-5 2° du Code de propriété intellectuelle ne distinguant pas si le copiste doit détenir l’original ou non pour effectuer une copie en toute légalité. Rappelons, à ce propos le fameux adage selon lequel là où la loi ne distingue pas il n’y a pas lieu de distinguer.
N’en tirons pas de conclusions trop hâtives. Dans un jugement du 30 avril 2004 [legalis.net], le TGI de Paris a rappelé que la possibilité de copie privée n’est pas un droit mais une exception. De plus, les faits de l’affaire hollandaise rappellent ceux d’une affaire française à propos de laquelle le TGI d'Epinal avait énoncé que les liens permettant de télécharger des mp3 sans l’autorisation des titulaires des droits étaient illégaux (TGI Epinal, 24 octobre 2000 [foruminternet.org]). Enfin, le projet de loi transposant la directive relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information [foruminternet.org] semble faire de la de la copie privée une exception "exceptionnelle" en transposant les dispositions relatives à la protection juridique des systèmes anti-copie et en rappelant que les exceptions au droit d’auteur ne doivent pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre originale ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires des droits.
Il est cependant étonnant que le tribunal d’Haarlem ait motivé sa décision en tenant compte de la directive (Wouter Van Lancker, "Le mp3 en toute liberté aux Pays-Bas", Ratiatum.com, 12 mai 2004). La réponse réside peut-être dans la définition de la copie privée proposée par la directive selon laquelle il s’agit de "reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales", ou alors à un niveau de compréhension de la directive qui n’a pas fini de déchaîner les passions.
Sabrina Brandner
DESS Droit du Multimédia et des systèmes d'information, Strasbourg
sabrina.brandner@laposte.net