Présentée comme une avancée importante dans le domaine de la dématérialisation, la LRE demeure pour l’heure encore méconnue d’un certain nombre d’acteurs. Malgré ce que pourrait laisser espérer son nom, il ne s’agit pas ni d’un hypothétique projet de loi pour la régulation électronique, ni d’un projet de loi sur la responsabilité de l’email. La LRE est simplement le nom de code d’un nouveau produit : la lettre recommandée électronique.
A l’heure du courriel, La Poste a lancé sur le marché un outil permettant de gérer l’envoi de lettres recommandées reposant sur le procédé de la rematérialisation de l’électronique. Pour résumer, le courrier est envoyé sous format électronique, il est distribué par le postier.
L’envoi d’une LRE est relativement aisé : après inscription sur le site internet de La Poste, il suffit d’envoyer sur le site internet le document que l’on souhaite faire parvenir par lettre recommandée (tous les formats traditionnels de fichier sont acceptés : Word, PDF, etc.), d’indiquer le destinataire puis le mode de recommandé (avec ou sans accusé de réception, avec ou sans valeur déclarée). Ensuite, le site calcule automatiquement les frais d’envoi et de rematérialisation qu’il vous suffit d’acquérir en laissant votre numéro de carte bancaire. Une filiale de La Poste se charge ensuite de l’impression du document, de la mise sous pli et de son envoi, le tout de manière automatique.
Perçu peut-être comme un gadget, cet outil pourrait devenir commode pour bon nombre de juristes dès lors que le mécanisme pourrait permettre d’éviter toute contestation sur le contenu de la lettre. En effet, lors de l’envoi virtuel de sa lettre, l’expéditeur reçoit par courrier électronique une preuve de dépôt du courrier sous forme électronique signé numériquement. Le contrat précise que La Poste doit faire parvenir cette preuve électronique de dépôt dans un délai de quinze minutes suivant le paiement. La LRE sera alors « réputée déposée à la Poste à l'heure légale figurant dans la preuve électronique de dépôt mise à la disposition de l’utilisateur sur le site ». Elle atteste « de l'heure légale de la prise en charge de la LRE par la Poste, du contenu du fichier d'édition validé » par l’internaute et des informations d'expédition. Elle est conservée pendant une durée de trois ans. En outre, les conditions générales de vente précisent que « le fichier d'édition est conservé un 1 an à compter de la mise à disposition de la preuve électronique de dépôt ».
D’ores et déjà , un premier doute naît dans l’esprit de l’utilisateur à la lecture de ces conditions. En effet, comment la preuve électronique de dépôt, conservée trois ans, peut-elle attester notamment du « contenu du fichier d’édition » si celui-ci n’est conservé qu’une seule année ?
Pour autant, face à un tel outil – appelé sans nul doute à se développer (notamment pour automatiser l’envoi de relance ou plus prosaïquement pour faciliter la pratique, en matière de droit d’auteur, de l’enveloppe scellée), l’intérêt du juriste se décuple. Ainsi, il est aisé de vouloir tenter un test et de s’envoyer une LRE. Dans ce travail de recherche juridico-journalistique, plusieurs éléments peuvent titiller l’esprit retors de l’amoureux du droit.
Tout d’abord, le site fait parvenir par courrier électronique une preuve électronique de dépôt avec le fichier d’édition. Pour autant, quelle est la validité juridique de cette preuve de dépôt une fois imprimée ? S’il est possible d’authentifier un contenu numérique, l’authentification de sa version « imprimée » demeure délicate et difficile.
D’autre part, une fois le fichier téléchargé, le site propose d’en prendre connaissance pour vérifier qu’il n’y ait eu aucun problème lors du téléchargement. Une première surprise arrive. Malgré la rédaction du courrier dans un format Word 2000 traditionnel (sans ajout de couleurs, de mises en page extraordinaires, etc.), la mise en forme semble atteinte : des espaces sont ajoutés de manière aléatoire dans le document, et en particulier au sein des mots, rendant plus difficile la lecture.
Malgré cette première critique, le document est validé. 48 heures après, le document est reçu et on peut prendre connaissance de celui-ci. Deux courriers sont insérées dans celui-ci : une page d’adressage (indiquant l’adresse du destinataire, la date d’envoi sur le site internet et le nombre de pages jointes) et le courrier à proprement dit. Là , un doute assaillit le juriste. Il apparaît que le courrier réceptionné n’est pas à l’identique celui validé. Les modifications sont minimes, mais demeurent. Il ne s’agit plus de la mise en forme (qui a conservé ses espaces supplémentaires) mais du texte lui-même. En particulier, la phrase « Paris, le 1er juin 2004 » a été remplacée par une poétique « Psss, ss ssus 2004 ». Mis à part, ce changement, le courrier demeure le même, sauf une réduction de sa taille à environ 90%. Cette modification laisse néanmoins perplexe. En cas, par exemple de notification par LRE d’une démission ou d’une résiliation préalable, une modification de la date peut être préjudiciable voire fatale.
Pour autant, est-il possible de se retourner contre La Poste pour le préjudice qui aurait pu en découler ? Les conditions générales de vente sont relativement explicites sur ce point. En effet, il est indiqué que « La Poste n'assume aucun engagement ni responsabilité : (…) Quant au contenu ou la validité des documents échangés ou des transactions effectuées entre l’utilisateur et un tiers par le biais de l'utilisation des moyens de télécommunications ou du Service ».
Enfin, dernière interrogation : ce système permet-il d’éliminer toute contestation possible sur le contenu envoyé par lettre recommandée ? Même s’il diminue l’incertitude quand la teneur de la lettre grâce à la conservation du courrier par un tiers, ce système ne permet pas d’éliminer totalement le risque. En effet, dès lors que la mise sous pli s’effectue de manière automatique, on peut imaginer des bogues de la machine qui pourrait ne mettre qu’une partie du courrier, le courrier de quelqu’un d’autre, etc. Les erreurs qui arrivent déjà en matière de publipostage sont susceptibles de se reproduire dans un tel système.
En fin de compte, il apparaît que le juriste risque encore de se régaler de ce nouvel outil qui montre bien que la dématérialisation n’est pas aussi simple qu’une lettre à la poste !
Benoît Tabaka
Membre du comité éditorial de Juriscom.net