Reportée en raison des élections européennes du 13 juin 2004, le Conseil constitutionnel a rendu public le 15 juin sa décision relative à l’examen de constitutionnalité du projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique. Dans leur décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 [conseil-constitutionnel.fr], les sages de la rue Montpensier censurent deux dispositions de la loi et émettent une réserve d’interprétation importante sur la responsabilité des prestataires techniques.
Tout d’abord, les juges constitutionnels opèrent une censure du régime de prescription et du droit de réponse applicable aux propos tenus en ligne. En effet, ils estiment que même si, "compte tenu des conditions de réception distinctes entre communication écrite et communication en ligne", un régime de prescription différent pouvait être institué par le législateur, celui-ci ne doit pas pour autant porter atteinte au principe d’égalité.
En effet, en faisant courir le délai de prescription à compter de la cessation de la mise à disposition d'un message dans le cas de la communication en ligne, alors que le point de départ de la prescription est la première communication au public dans le cas d'une publication écrite, la loi ouvrait l'action civile et pénale pendant des durées manifestement trop différentes selon le support utilisé. Il en allait de même pour le point de départ du délai d'exercice du droit de réponse.
En pratique, les sages considèrent que la différence de traitement ne doit pas être excessive au regard de l’objectif poursuivi. Or, en la matière, les juges estiment qu’il existe un déséquilibre important non justifié par la différence existante entre les deux supports. Pour cette raison, les juges sanctionnent ces dispositions.
En conséquence, demeure applicable aux propos tenus en ligne le régime de prescription issu du droit de la presse (computation du délai à compter du jour de la publication des propos). De même, le droit de réponse prévu en ligne ne pourra être exercé que pendant une durée de 3 mois à compter de la mise des propos citant ou désignant une personne.
Un revirement de jurisprudence pour une réserve
Concernant l’examen du régime de responsabilité applicable aux intermédiaires techniques, le juge constitutionnel a décidé – à cette occasion – d’abandonner sa jurisprudence traditionnelle en matière de contrôle opéré vis-à -vis des dispositions internationales.
Un dilemme apparaissait au Conseil constitutionnel. En effet, s’il censurait une disposition législative transposant une directive, il ferait ainsi obstacle à la transposition de celle-ci, au risque d’exposer la France à une action en manquement de la part des autorités communautaires. Or, les juridictions communautaires refusent actuellement à un Etat de se dissimuler derrière des considérations d’ordre constitutionnel pour retarder ou refuser la transposition de dispositions communautaires (CJCE, 11 avril 1978, C-100/77, Rec. p. 879 et CJCE, 6 mai 1980, C-102/79, Rec. p. 1473).
Appelé à prendre position, le Conseil constitutionnel vient d’opérer un revirement dans sa jurisprudence traditionnelle en effectuant un certain contrôle vis-à -vis d’actes internationaux. Cette solution trouve son fondement dans l’article 88-1 de la Constitution qui dispose que « La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences ».
S’appuyant sur cet article, le juge constitutionnel estime que la transposition d’une directive constituait une obligation non seulement communautaire mais également constitutionnelle, à laquelle il n’est possible de faire obstacle qu’au travers d’une disposition expresse de la Constitution. En pratique, la France ne pourrait s’opposer à la transposition d’une directive que si cette transposition porte atteinte à une règle écrite prévue dans le bloc de constitutionnalité.
En conséquence, le Conseil constitutionnel refuse dorénavant d’opérer un quelconque contrôle 1/ sur les dispositions conformes aux règles constitutionnelles françaises et sur les dispositions non-conformes à un principe jurisprudentiel constitutionnel et 2/ à condition que ces dispositions se bornent à tirer les « conséquences nécessaires d’une directive précise et inconditionnelle ». Il renvoie donc les requérants auprès de la Cour de justice des communautés européennes pour toute critique sur la compétence des organes ayant adopté le texte communautaire ou le respect des droits fondamentaux.
Faisant application de ces nouveaux principes à l’article 6 de la LCEN sur la responsabilité civile et pénale des hébergeurs, le Conseil constitutionnel estime qu’elles « tirent les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises de l'article 14 de la directive communautaire 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique et ne peuvent être utilement contestés ».
Néanmoins, il en profite pour émettre une réserve d’interprétation au regard des dispositions de la directive en estimant que ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d'engager la responsabilité de l'hébergeur au seul motif qu'il n'aurait pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers. Pour que cette responsabilité soit engagée, il faudra que le caractère illicite de l'information dénoncée soit manifeste (racisme, xénophobie, pédopornographie, etc.) ou qu'un juge en ait ordonné le retrait.
En conséquence, les Sages réintroduisent une petite exception à la responsabilité des hébergeurs : ils ne seraient être tenus responsables dès lors qu’ils n’ont pas procédé à la suppression d’un contenu ni manifestement illicite, ni jugé illicite par un tribunal. Tel pourrait ainsi être le cas des contentieux existants en matière de diffamation (difficile à apprécier) voire de certains contentieux en matière de droit d’auteur (contestation autour de la longueur d’une citation, etc.).
Sous cette réserve et ces deux censures, le Conseil constitutionnel valide la LCEN qui devrait entrer en vigueur d’ici les tous prochains jours.
Benoît Tabaka
Membre du Comité éditorial de Juriscom.net