Au Canada, comme ailleurs, le téléchargement de fichiers musicaux demeure au centre des préoccupations pour l’industrie musicale et les détenteurs de droits d’auteur. Alors que la Cour fédérale s’est récemment prononcée sur le sujet (Nicolas Vermeys, "Citoyens canadiens, téléchargez en paix !", Juriscom.net, 5 avril 2004), c’est au tour de la plus haute cour du pays à traiter de « l’épineuse question de savoir qui doit verser des redevances aux artistes et aux compositeurs titulaires du droit d’auteur canadien sur les œuvres musicales téléchargées au Canada à partir d’un autre pays au moyen d’Internet ». Réponse à la question : pas les fournisseurs d’accès Internet !
Dans l’arrêt Association canadienne des fournisseurs Internet c. Société canadienne des auteurs, [2004] CSC 45, la Cour suprême devait se prononcer sur l’obligation des fournisseurs d’accès Internet de verser une redevance aux auteurs pour les œuvres téléchargées via leurs réseaux. En effet, au Canada, en vertu du tarif 22, les fournisseurs de biens et de services permettant la violation de droits d’auteur, comme les fabricants de cassettes ou de CD vierges, doivent payer une certaine redevance aux détenteurs de ces droits. L’agence responsable de la perception de ces redevances, la SOCAN, prétendait que les FAI devaient faire de même pour chaque fichier MP3 téléchargé via leurs réseaux.
Cependant, selon la Cour, la Loi sur le droit d’auteur stipule clairement que les FAI ne sont pas partie à la communication qui viole le droit d’auteur, puisqu’ils jouissent d’une immunité en vertu de l’article 2.4(1)b), lequel stipule que : « n’effectue pas une communication au public la personne qui ne fait que fournir à un tiers les moyens de communication nécessaires pour que celui-ci l’effectue ».
En reprenant les propos de la Commission sur le droit d’auteur, la Cour en est venue à la conclusion que « seule la personne qui rend disponible une œuvre musicale communique celle-ci ». C’est donc le fournisseur de contenus qui est le seul responsable de la communication et qui, par le fait-même, viole les droits des auteurs.
Quant au FAI, dans la mesure où il n’exige pas de frais pour le téléchargement d’œuvres musicales et qu’il ignore le contenu des transmissions qui transittent par ses services, il ne saurait être tenu responsable.
La SOCAN prétendait par ailleurs que le principe de l’antémémorisation fait en sorte que les FAI copient illégalement des œuvres protégées. Cependant, selon la Cour : « le législateur a décidé qu’il est dans l’intérêt du public d’encourager les intermédiaires, qui rendent les télécommunications possibles, à étendre et à développer leurs activités sans s’exposer au risque de violer le droit d’auteur. Imputer aux intermédiaires une responsabilité en la matière freinerait manifestement cette croissance et ce développement, lesquels ont permis la création de l’antémémoire ».
Finalement, la SOCAN prétendait que les FAI participaient à la violation de droits d’auteur puisqu’ils savaient que les fournisseurs de contenus rendaient accessible du matériel illicite grâce à leurs services et qu’ils ne prenaient pas de mesures pour y remédier. La Cour s’est toutefois empressée à préciser que « le fait de savoir que quelqu’un pourrait violer le droit d’auteur grâce à une technologie sans incidence sur le contenu n’équivaut pas nécessairement à autoriser cette violation, car il faut démontrer que l’intéressé a approuvé, sanctionné, permis, favorisé, encouragé le comportement illicite », ce que ne font pas les FAI.
Il est finalement intéressant de noter que le tribunal s’est également prononcé sur la portée extraterritoriale du droit canadien quant à Internet. Selon la Cour, « le Canada pourrait exercer sa compétence en matière de droits d’auteur à l’égard tant des transmissions effectuées au pays que de celles provenant de l’étranger », cette position étant « conforme non seulement à notre droit général, mais aussi aux pratiques nationales et internationales en la matière ». Dans la mesure où ni les consommateurs, ni les FAI ne doivent verser une quelconque redevance aux détenteurs de droits, cette option semble donc demeurer l’une des seules solutions viables. Reste à savoir comment l’État saura l’appliquer…
Nicolas Vermeys, LLM
Avocat chez Legault Joly Thiffault
nicolas.vermeys@umontreal.ca
Correspondant pour Juriscom.net