Les saisons passent et ne se ressemblent pas. Il en va de même dans les affaires Greenpeace. La décision AREVA contre Greenpeace, rendue le 9 juillet dernier, n'a que peu de chose en commun avec celle du 30 janvier 2004 relative au conflit opposant Esso à l’association. En effet, le TGI de Paris a jugé qu’en faisant figurer sur leurs sites « les signes A et A AREVA associés notamment à une tête de mort ou à un poisson “mort” ou “mal en point” », Greenpeace France et Greenpeace Nouvelle-Zélande, également en cause en l’espèce, n’avaient certes pas contrefait la marque « AREVA », mais que les faits constituaient un dénigrement les rendant civilement responsables. Or, dans une décision du 30 janvier 2004, les juges du même tribunal avaient estimé qu’en utilisant sur les pages de son site web les mots « ESSO », l'expression « STOP ESSO » et « STOP E$$O », Greenpeace avait « inscrit son action dans les limites de la liberté d'expression et dans le respect des droits de la société ESSO sur ses marques d'une part, et qu'aucun risque de confusion n'était susceptible de naître dans l'esprit du public d'autre part » pour ajouter au final que « les agissements parasitaires allégués ne sont pas constitués ». Les jugements sembleraient donc se contredire. Mais, il faut se pencher sur les faits de l’espèce qui, bien qu’étant semblables dans les deux affaires, ne sont pas pour autant identiques. Dans l’affaire Esso contre Greenpeace, les signes litigieux font un lien entre la compagnie pétrolière et le pouvoir financier représenté par deux dollars américains. Alors que dans l’affaire AREVA, les signes en cause représentent la marque de la compagnie nucléaire en l’associant à une tête de mort. Or, il apparaît que la liberté d’expression, se manifestant notamment par la parodie et reconnue en matière de droit des marques par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass, Ass. Plen., 12 juillet 2000 [lexinter.net]), comporte des limites à ne pas dépasser. Mais c'est sur le terrain du dénigrement (engageant la responsabilité civile de son auteur sur le fondement de l'article 1382 du Code civil), et non sur celui du droit des marques, que les juges font valoir ces limites. Ainsi, dans leur jugement du 9 juillet, les magistrats énoncent « qu'une association aussi réductrice et définitive du sigle d'une société à l'image de la mort participe d'autant moins du débat d'idées que la capacité d'AREVA à maîtriser l'énergie nucléaire n'est pas mise en doute par les associations GREENPEACE » et que donc « l'équation “AREVA = mort” procède (…) d'une démarche purement dénigrante qui engage la responsabilité de leurs auteurs ». Les juges rappellent ici un principe souvent énoncé dans les décisions précédentes concernant la même association, à savoir que si la liberté d’expression « n’est pas absolue, elle ne peut néanmoins subir que les restrictions rendues nécessaires par la défense des droits d’autrui » (CA Paris, 26 février 2003 [foruminternet.org]). Aussi, bien que la décision du 9 juillet ne soit pas la même que celle du 30 janvier, il semble qu’il n’y ait pas de quoi s’alarmer. Comme dans l’ordonnance de référé [foruminternet.org] du 2 août 2002 et l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 février 2003 [foruminternet.org], les juges ont estimé qu’il n’y a pas de contrefaçon de marques. Ceci pour deux raisons : d’une part il n’y pas reproduction d’un signe identique, d’autre part il n’y a pas création d’un risque de confusion nécessaire à la constitution d’une contrefaçon par imitation. Pour conclure, les juges n’ont fait que confirmer ce que la Cour d’appel a suggéré en 2003, à savoir que la liberté d’expression reconnue en matière de droit des marques ne peut ni excéder les limites de ce qui est indispensable au but poursuivi ni nuire aux intérêts économiques du titulaire de la marque. Sabrina Brandner Juriste NTIC Collaboratrice Juriscom.net
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