L’arrêt du 30 septembre dernier de la Cour d’appel de Versailles vient de confirmer la condamnation de la société EMI Music France pour défaut d’information portée sur la jaquette des CD de leur incompatibilité avec certains supports de lecture.
Si cette affaire est circonscrite au droit de la consommation, elle est aussi l’occasion d’évoquer la question du droit d’auteur.
Le droit de la consommation, le défaut d’information et la tromperie sur l’aptitude à l’emploi
C’est une seconde victoire pour l’association de consommateurs CLCV (Association Consommation Logement Cadre de vie) qui avait déjà eu gain de cause en 1ère instance auprès du Tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre, le 24 juin 2003. Ce dernier avait décidé que la mention « ce CD contient un dispositif technique limitant les possibilités de copie » était insuffisante eu égard au fait que les CD en cause étaient inaudibles sur certains autoradios. La Cour d’appel vient donc de confirmer le caractère trompeur sur « l’aptitude à l’emploi » du CD. Elle se fonde pour cela sur l’article L 213-1 du code de la consommation qui « réprime le fait de tromper ou tenter de tromper le contractant par quelque moyen que ce soit notamment sur l’origine, la nature, l’espèce, les qualités substantielles ou l’aptitude à l’emploi d’un produit, l’élément matériel ressortant du seul fait de nature à induire en erreur ».
Cette même société Emi Music France devrait par ailleurs devoir se défendre au pénal cette fois-ci, après sa mise en examen le 31 juillet dernier, avec la Fnac, pour « vice caché » et « tromperie sur les qualités substantielles de CD » (voir Frank Bergeron, « EMI et la Fnac mis en examen pour tromperie sur les qualités substantielles de CD protégés », Juriscom.net, 7 septembre 2004). A ce propos, la demande d’EMI France auprès de la Cour d’appel de Versailles de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de cette instruction, a été jugée irrecevable, faute d’avoir été présentée dans les délais.
La société EMI France a tenté, par ailleurs, de faire valoir pour sa défense le manque d’élément probant de « l’inaptitude à l’emploi » de ces CD. Elle s’est certainement inspirée de la décision du TGI de Paris du 2 octobre 2003 (CLCV c/ Sony Music Entertainment France) qui avait considéré qu’il n’avait pas été prouvé de « défaut de lecture inhérent à l'autoradio utilisé ni [de] défaut affectant l'exemplaire du disque utilisé ». De ce fait, la mention, pourtant sujette à caution, « ce CD peut être lu par tout lecteur CD audio standard », avait été validée.
Fort heureusement, ce jugement est isolé et la Cour d’appel de Versailles a estimé que « le fait que le consommateur ne puisse écouter un CD sur un autoradio ou un lecteur caractérise l’inaptitude à l’emploi du produit, quand bien même seuls certains CD sont atteints par ce vice et quelques utilisateurs concernés ». Si le défaut d’information du consommateur sur la restriction d’utilisation des CD sur certains supports n’a pas été considéré comme de nature à l’induire en erreur (d’où le rejet du fondement de publicité mensongère), l’élément matériel de la tromperie, comme son élément intentionnel, sont établis. En effet, « en tant que professionnel averti, [EMI music France] ne pouvait ignorer la possible inaptitude à l’emploi de certains CD ».
Conséquemment, la Cour d’appel impose, sous astreinte, l’inscription sur les CD en cause de la mention « attention, il ne peut être lu sur tout lecteur ou autoradio » et condamne la société EMI France à 10.000 € de dommages et intérêts.
Cette condamnation est sans commune mesure avec celle qui avait été prononcée à son encontre par le TGI de Nanterre, le 2 septembre 2003, dans l’affaire Madame F.M. et UFC Que Choisir c/ SA EMI Music France et Sté Auchan France. Compte tenu du fait que l’intervention de l’association de consommateurs a été jugée irrecevable, EMI France n’a eu à débourser en faveur de la plaignante qu’une somme correspondant au prix du CD, soit 9,50 €. Le juge a, en effet, fait droit à la demande fondée sur le vice caché au sens de l’article 1641 du code civil, en ce qu’il intervient « dans la délivrance d'une chose bien conforme au type promis mais affecté d'une anomalie ou d'une défectuosité qui en restreint l'usage » (Frank Bergeron, « Systèmes anti-copie : le vice plutôt que la vertu », Juriscom.net, 8 septembre 2003). Il est donc intéressant de noter qu’à cette époque la non-lisibilité sur tous les supports avait été considérée comme une « anomalie » ou une « défectuosité ».
L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 30 septembre 2004 complète cette jurisprudence en énonçant que l’aptitude d’un CD est bien d’être lu sur tous supports « sauf mention explicite informant l’acheteur du risque pris en achetant ce produit ». A contrario, l’aptitude d’un CD n’est donc plus d’être lu sur tous supports si une telle mention est portée sur le CD. Quid alors de la mise en œuvre de l’exception pour copie privée ?
Le droit d’auteur et les mesures techniques de protection
Rappelons que la copie privée d’un CD acheté pour un usage privé et familial est tout à fait légale puisqu’elle constitue, avec le droit de courte citation et de parodie, une limite au caractère exclusif des droits de l'auteur et des droits voisins. D’ailleurs, une redevance de 56 centimes d’euro est prélevée au profit des ayants droit lors de tout achat de CD enregistrables, conformément à l’article L. 311-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (Jean-Paul Geai, « Musique : voilà pourquoi votre CD est muet », Quechoisir.org, juin 2003). C’est la reproduction pour un usage autre que privé qui est interdite. Le verrouillage des CD par des systèmes de cryptage ou de brouillage met pourtant à mal cette exception (voir Guillaume Gomis, « Réflexions sur l’impact des mesures techniques de protection des œuvres », Juriscom.net, 16 décembre 2002). Or, il semble injuste de faire peser sur les consommateurs la chute du marché des disques, d’autant plus que les prix n’ont en rien baissé. Ce n’est guère là une incitation à l’achat.
Si l’on examine le projet de loi [assemblee-nationale.fr] du 12 novembre 2003 sur les droits d'auteur qui doit transposer la Directive européenne 2001/29/CE [foruminternet.org] du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, il est dit clairement à l’article 8 que, conformément à l'article 6-4 de la directive, « les titulaires de droits ont la faculté de prendre des mesures permettant de limiter le nombre de copies ». Il n’est pas dit, par contre, que les titulaires de droits ont la faculté de supprimer tout bénéfice à la copie privée.
Ce projet de loi justifie donc la mise en place des mesures techniques de protection des CD contre « les actes non autorisés par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur prévu par la loi » (article 6 de la directive). Il reste à savoir si la copie privée pourrait devenir « un acte non autorisé ». Si la réponse est au premier abord négative, puisqu’il est expliqué dans l’exposé des motifs du projet de loi que « l'article 8 prévoit que les titulaires de droits doivent prendre les mesures volontaires nécessaires pour que ces mesures techniques n'empêchent pas les utilisateurs de bénéficier de l'exception de copie privée (…) », la question se posera de savoir dans quelle mesure la limitation légale du nombre de copies pourra l’emporter sur cette exception. L’article 8 du projet de loi répond à cela que les titulaires des droits doivent permettre le bénéfice effectif des exceptions au droit d’auteur « dès lors que les personnes bénéficiaires d'une exception ont un accès licite à l'œuvre ou à un phonogramme, vidéogramme ou programme, que l'exception ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou d'un autre objet protégé et qu'il n'est pas causé un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droits sur cette œuvre ou cet objet protégé».
Ainsi, le bénéfice de l’exception de copie privée ne devrait pas porter atteinte, notamment, à l’exploitation normale de l’œuvre…
Voilà qui nous renvoie au jugement rendu par le TGI de Paris le 30 avril 2004. Le tribunal a débouté l’association Que choisir lorsqu’elle s’était plainte de la violation du droit à la copie privée par les techniques mises en place dans un DVD. Le juge avait alors rappelé qu’il ne s’agissait que d’une exception et non d’un droit, et que « la copie d’une oeuvre filmographique éditée sur support numérique ne peut ainsi que porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ». Le tribunal concluait : « si une information précise du consommateur sur l’impossibilité de réaliser une copie privée du DVD litigieux aurait pu figurer sur la jaquette de celui-ci, il demeure que ne constitue pas une caractéristique essentielle d’un tel produit la possibilité de le reproduire alors surtout qu’il ne peut bénéficier de l’exception de copie privée » (commentaire de cette décision par Olivier Masset, "L'exception à l'exception : quand les mesures techniques de protection interdisent la copie privée numérique", Juriscom.net, 27 juillet 2004).
Le projet de loi prévoit des litiges à venir entre les titulaires de droits et les utilisateurs, puisqu’il organise la mise en place d’un collège de médiateurs chargé du règlement des différends. Ce collège aura le pouvoir d’émettre une injonction prescrivant « les mesures appropriées pour permettre le bénéfice effectif des exceptions » (sic). Ce n’est donc pas la mort de la copie privée, mais plutôt la légalisation d’une limitation à cette exception.
En tout état de cause, l’obligation d’une information lisible sur les CD de leur caractère inaudible sur certains lecteurs est bien le minimum auquel doivent être tenus les majors du disque.
Sandrine Rouja
Rédactrice en chef de Juriscom.net