Les stratégies de lutte contre le piratage de jeux électroniques et musique en ligne prennent un nouveau tournant. Après la chasse aux consommateurs et de multiples actions en justice entreprises (Christine Riefa, « P2P : la chasse aux consommateurs est ouverte », Juriscom.net, 13 octobre 2004 ; Sandrine Rouja, « P2P et contrefaçon : les dernières poursuites au pénal », Juriscom.net, 20 décembre 2004), les industries du logiciel de loisir et de la musique décident d’user de la possibilité de mettre en place des fichiers d’infractions pour prévenir le piratage.
En application de l’article 9-4 de la loi de Informatique et Liberté de 1978, modifiée par la loi n°2004-801 du 6 août 2004, le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL) a été autorisé par la CNIL à mettre en oeuvre un traitement automatisé de détection des infractions au code de la propriété intellectuelle.
Cet alinéa de la loi, très contesté pour les atteintes à la vie privée qu’il peut engendrer, permet aux ayants droit et sociétés de gestion collective des droits de relever et de conserver les adresses IP des utilisateurs des réseaux P2P soupçonnés de contrefaçon. Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 29 juillet 2004 (Décision n° 2004-499 DC du 29 juillet sur la loi relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel) avait validé cet alinéa indiquant que cette possibilité n’était pas « contraire à la Constitution, compte tenu des garanties apportées et de l’intérêt général s’attachant au but poursuivi » (Estelle Dumout, « Informatique et libertés : les ayants droit autorisés à collecter les adresses IP », Zdnet.fr, 30 juillet 2004).
L’autorisation délivrée par la CNIL (« Peer-to-peer : première autorisation de la CNIL relative aux logiciels de loisirs », Echos des séances, Cnil.fr, 12 avril 2005) va permettre au SELL d’envoyer des messages aux internautes identifiés, les informant du caractère illégal de leur comportement et des sanctions encourues. Toutefois, l’adresse IP de ces internautes ne pourra pas être conservée ou être utilisée pour dresser un procès verbal d’infraction. La collecte d’adresse IP dans le but de dresser un procès verbal d’infraction est limitée et encadrée. Seul un agent assermenté pourra dresser un tel procès verbal destiné à lancer des poursuites. Par ailleurs, ces adresses IP ne pourront être collectées que dans le but de permettre « la mise à disposition de l’autorité judiciaire d’informations et ne pourront acquérir un caractère nominatif que dans le cadre d’une procédure judiciaire ».
Le SELL explique la démarche de demande d’autorisation par le fait que le piratage de logiciels, comme celui de la musique est devenu une pratique courante mettant en péril l’industrie du logiciel ainsi que les auteurs. Une campagne publicitaire destinée à alerter le public va être lancée sous la bannière « Halte au Piratage ! », et prendra la forme de placards publicitaires ainsi que de tee-shirts imprimés avec le slogan et le logo. Le SELL déclare sur son site Internet [Sell.fr] : « Les pirates ont désormais beaucoup de soucis à se faire, le SELL ne les lâchera pas… ! ».
L’industrie de la musique se prépare à suivre la même démarche et selon ZDNet « la société civile des producteurs phonographiques (SCPP) devrait déposer un dossier à la CNIL sous une quinzaine de jours » (Estelle Dumout, « Peer-to-peer : bientôt les premières autorisations pour traquer les contrefacteurs ? », Zdnet.fr, 5 avril 2005).
Notons toutefois que l’industrie de la musique ne remplacera pas la prévention par la répression. L’IPFI et la SCPP annonçaient il y a quelques jours « Une nouvelle campagne d’actions en justice intentées à l’encontre des adeptes du partage illégal de fichiers musicaux sur Internet (…) concernant plus de 500 individus dans dix pays d’Europe et au Japon » (Communiqué de presse, « L’IFPI annonce le lancement d’une vaste campagne internationale d’actions en justice contre le partage illégal de fichiers musicaux sur Internet », Scpp.fr, 12 avril 2005. Voir également pour l’information en anglais, IFPI, "Music file-sharers face biggest round of legal actions yet; many are already counting the cost", Ifpi.org, 12 avril 2005).
Christine Riefa
Membre du Comité éditorial de Juriscom.net
Lecturer, Faculté de Droit de Brunel, Angleterre