Le mois d’avril voit fleurir les décisions relatives aux mesures techniques de protection des œuvres de l’esprit diffusées sur des supports numériques. Deux arrêts rendus par la Cour d’appel de Paris et celle de Versailles se font curieusement écho à quelques jours d’intervalle. Le premier (CA Paris, 22 avril 2005 [juriscom.net]) est inattendu en ce qu’il interdit le recours à une mesure technique empêchant l’exercice de l’exception légale de copie privée (sur cette décision, voir la présentation de Philippe Amblard, « La Cour d’appel de Paris confirme l’exception de copie privée sur support numérique », Juriscom.net, 29 avril 2005, et le commentaire à paraître du Professeur Valérie-Laure Bénabou). Le second (CA Versailles, 15 avril 2005 [juriscom.net]) est plus insidieux car il ne remet pas en cause le droit pour l’exploitant de protéger techniquement l’œuvre, mais lui fait supporter les imperfections du système anti-copie par le biais de la garantie des vices cachés.
Dans l’incapacité d’écouter un CD d’Alain Souchon avec le lecteur installé dans son véhicule, un acquéreur mécontent avait exercé à l’encontre du vendeur et de l’éditeur une action rédhibitoire sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil. L’association UFC-Que Choisir était intervenue à l’instance et demandait qu’interdiction soit faite aux exploitants de commercialiser le disque en raison de la présence d’une mesure technique « illicite ». Elle ne réclamait pas l’information des consommateurs par l’apposition d’une mention sur les produits litigieux.
La solution rendue en première instance est connue. Par jugement [juriscom.net] du 2 septembre 2003, le Tribunal de grande instance de Nanterre déclara l’action de Mme M. recevable et condamna l’éditeur à lui rembourser le prix payé (soit moins de dix euros). En revanche, il rejeta les demandes de dommages et intérêts et déclara l’action de l’UFC-Que Choisir irrecevable.
Le résultat était très en deçà des attentes de l’association de consommateurs et les demanderesses interjetèrent appel. L’arrêt rendu le 15 avril 2005 confirme l’analyse du TGI concernant l’action en garantie des vices cachés. Selon la Cour d’appel de Versailles, Mme M. a démontré que le CD ne fonctionnait pas dans un lecteur pourtant adapté et que la cause de la panne résidait dans le dispositif technique de protection. L’impossibilité de lire un CD constitue une restriction à son usage normal rendant la chose impropre à son usage.
Les magistrats du second degré ajoutent, conformément à une jurisprudence traditionnelle, que la qualité de professionnel du vendeur implique l’obligation de réparer le préjudice subi par l’acquéreur. De surcroît, ils accueillent pour partie les arguments de l’UFC-Que Choisir et lui octroient une indemnité de 10 000 euros au titre du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs. Néanmoins, ils refusent de déclarer illicite la mesure technique de protection contre la copie. Au surplus, la Cour affirme clairement que « rien n’interdit à l’intimée de commercialiser un CD avec une mesure de protection dont le fonctionnement serait normal à condition que l’acheteur en soit prévenu ».
Qu’on ne s’y méprenne pas : le litige, en apparence anodin, s’inscrit dans une stratégie de contestation tous azimuts de la primauté du droit d’auteur. L’attaque porte ici sur les mesures techniques qui en assurent la défense indirecte et paralysent le jeu des exceptions, au premier rang desquelles figure la copie privée. Qu’il s’agisse de l’information des consommateurs, de la tromperie, de la garantie des vices cachés, tous les moyens sont utilisés pour faire renoncer les majors à des techniques qui ne distinguent pas les bons usages des mauvais.
La décision n’étonne pas, elle fait application des principes classiques du droit civil. De même, l’obligation d’informer les consommateurs invoquée dans l’affaire Liane Foly paraît légitime. Il ne s’agit dans les deux cas que des premières salves. Une fois les CD couverts de mentions comme le bœuf ou les produits pharmaceutiques, le vice sera apparent et l’information suffisante.
La contestation de la licéité des mesures techniques de protection est sans doute plus problématique, sur le plan juridique, car elle sous-tend l’idée d’un droit subjectif à la copie privée, qui vise à soumettre le droit des créateurs aux intérêts du public. Bien qu’elle réfute l’expression de droit subjectif, c’est à cette idée que s’est ralliée la Cour d’appel de Paris dans l’arrêt du 22 avril 2005 précité, en écartant les mesures techniques au profit de l’exception de copie privée, nonobstant la hiérarchie inverse fixée clairement par la directive n°2001/29/CE. La Cour d’appel de Versailles paraît défendre l’opinion contraire. La guerre promet décidément d’être longue…
David Melison
Membre du CERDI (Paris XI)