[Actualisation du 8 août 2005 : l'arrêt fait maintenant l'objet d'un commentaire écrit par Me Olivier Hugot, avocat au Barreau de New York]
La Cour Suprême des Etats-Unis vient de donner tort aux sociétés Grokster et StreamCast, distributeurs des logiciels de peer-to-peer, dans l’affaire qui les opposait aux studios Metro-Goldwyn-Mayer (MGM). A peine rendu, l’arrêt du 27 juin 2005 fait l’objet de nombreux débats, aux Etats-Unis [ZDNet.fr], comme en France [ZDNet.fr]. Retour au calme pour un survol de cet arrêt...
Dans cette affaire, les studios MGM, qui évaluaient à 8 millions le nombre de fichiers protégés disponibles sur les réseaux utilisant les technologies FastTrack et Gnutella, alléguaient la responsabilité des deux distributeurs de logiciels P2P pour des infractions au copyright réalisés par leurs utilisateurs.
Les demandes de MGM, et de nombreux autres studios de cinéma, ont d’abord été rejetées par la Central District Court of California [techlawjournal.com] en 2003 et la 9th Circuit Court of Appeals [ce9.uscourts.gov - PDF] en 2004.
La Cour Suprême des Etats-Unis, en revanche, a retenu la responsabilité de Grokster et StreamCast.
La première question soulevée par cette affaire était de savoir sous quelles conditions le distributeur d’un produit permettant à la fois des pratiques légales et illégales peut être tenu pour responsable des actes de contrefaçon réalisés par ses utilisateurs.
Les neuf juges de la Cour Suprême ont estimé que tout distributeur promouvant l'utilisation de son produit pour commettre des infractions au copyright devait être tenu pour responsable de ces actes. Or, c’est bien dans cette situation que se sont retrouvés les sociétés Grokster et StreamCast.
La cour a fondé sa conviction sur trois constats :
1) la captation d’utilisateurs friands d’infractions au copyright ;
2) l’absence de développement d’outils permettant de réduire les activités contrefaisantes et
3) la perception d’une rémunération par la vente d’espaces publicitaires.
Les studios MGM ont rapporté de nombreuses preuves permettant d’établir le premier constat, le plus important des trois. Ces preuves révélaient notamment que les sociétés Grokster et StreamCast ont souhaité capter les utilisateurs de Napster, cette célèbre société condamnée [ce9.uscourts.gov] par la Cour d’appel du 9ème circuit le 12 février 2001 pour avoir elle-même facilité des infractions au copyright. En effet, StreamCast avait commencé à distribuer un logiciel d’échange (OpenNap) compatible avec Napster afin de collecter les adresses emails des utilisateurs de ce réseau et leur vanter les mérites du logiciel Morpheus. De son côté, Grokster avait élaboré un système équivalent à OpenNap, le logiciel Swaptor, dont elle faisait la promotion sur son site web. Or, les meta tags de ce site étaient configurés de manière à attirer les utilisateurs de moteurs de recherche qui tapaient les mots clés « Napster »… CQFD.
La cour a également remarqué, sur foi de documents internes, que la société StreamCast souhaitait obtenir sur son réseau un volume de fichiers musicaux protégés par le copyright plus important que celui des autres fichiers, ceci afin d’attirer les utilisateurs intéressés. Par ailleurs, le logiciel Morpheus permettait aux utilisateurs d’effectuer des recherches dans un « Top 40 » au sein duquel on retrouvait inévitablement des titres protégés. Grokster, lui, se contentait d’envoyer une lettre d’information à ses utilisateurs faisant état de sa capacité à fournir des contenus protégés « populaires ».
Ce premier constat étant établi, la cour a renforcé sa conviction en reprochant à Grokster et StreamCast de ne pas avoir accompli les efforts nécessaires pour empêcher leurs utilisateurs de télécharger ou de mettre en partage des fichiers protégés. Au surplus, elle a estimé que le business model des défenderesses - fondé sur la rémunération publicitaire - ne pouvait que confirmer l’existence d'une intention préjudiciable. Selon ce model le niveau de revenus dépend du nombre d’affichages et, par conséquent, de l’intensité d’utilisation des logiciels P2P par leurs utilisateurs qu’il faut nécessairement, imagine-t-on, captiver par l'existence d’œuvres protégées.
La cour conclut ainsi que les précédentes décisions en faveur de Grokster et StreamCast étaient sans fondements et renvoie l’affaire vers les juridictions inférieures.
Ainsi les juges de la plus haute juridiction américaine ont-il retenu la possibilité de retenir la responsabilité des sociétés défenderesses sur le fondement d'une intention préjudiciable visant à faciliter des infractions au copyright. Même si le présent arrêt demeure critiquable à plusieurs égards, il reste particulièrement attaché aux faits de l'espèce. La Cour Suprême s'est concentrée sur le cas de deux distributeurs de logiciels de peer-to-peer dont elle a décortiqué les agissements. Il est impossible de prétendre aujourd'hui, comme l'ont déjà fait plusieurs communiqués et quelques journaux, que cet arrêt est généralisable à tous les distributeurs de logiciels de peer-to-peer. Et l'on ne peut encore moins prétendre que les juges de la Cour Suprême ont voulu rendre illégaux tous les logiciels d'échange de fichiers.