Il y avait eu le Prince du Liechtenstein [Domaine.blogspot.com]. Voici que le Président de la République Turque de Chypre du Nord engage une procédure à propos de noms de domaine en ".eu" ! C'est dire si ces adresses électroniques communautaires peuvent présenter un intérêt géopolitique, en plus d'être l'équivalent de marques sur internet. Qu'est-ce qui a amené ce demandeur à saisir l'Arbitration Center for .eu Disputes [Adr.eu] ? Il s'avère que vingt noms de domaine ont été enregistrés par la voisine et ennemie République de Chypre. Parmi ceux-ci, on trouve le nom de l'Etat (northerncyprus.eu, northern-cyprus.eu, northcyprus.eu...), mais aussi son acronyme - seul (trnc.eu) ou accolé à d'autres termes (trnc-humanrights.eu, tourism-trnc.eu, trncgov.eu) -, etc. (liste complète dans la décision 1266 [Adreu.eurid.eu]). Se référant à la situation politique du pays, le Président de la République Turque de Chypre du Nord allègue que ces noms ont été enregistrés par la République de Chypre, laquelle ne représente pas la communauté turque administrée sous sa responsabilité. Selon lui, ces noms de domaine auraient été réservés afin d'empêcher les Chypriotes turcs de communiquer avec le reste du monde, d'exprimer leurs pensées, et ceci irait à l'encontre "des plus basiques de leurs droits de l'homme". Il est donc soutenu que ces noms de domaine reviennent naturellement à la communauté turque de Chypre. Sur le plan juridique, le demandeur observe que toute demande d'enregistrement de noms de domaine en ".eu" doit être fondée sur des droits antérieurs. En l'espèce, c'est nécessairement sur la seule base de la dénomination protégée d'organismes publics qu'un enregistrement pouvait être obtenu. Le demandeur allègue que le Ministre de l'Education et de la Culture de la République de Chypre (au bénéfice duquel ont été enregistrés ces noms), ne dispose pas de tels droits antérieurs. Par ailleurs, le droit communautaire ne s'appliquerait pas dans la zone Nord de Chypre ; en conséquence, parce que les noms de domaine litigieux se réfèrent à cette zone, il ne saurait exister à leur propos de droits antérieurs au sens du règlement communautaire 874/2004. A cela, l'EURid, registre chargé d'allouer (ou non) les noms de domaine en ".eu" dans le respect des règles communautaires, répond : - que ces demandes d'enregistrement ont été validées selon les formes prescrites, - qu'il ne peut apprécier le bien-fondé des droits antérieurs revendiqués par des organismes publics, du fait du régime spécial qui a été aménagé à leur égard, - et que l'éventuelle mauvaise foi du titulaire des noms ne peut être débattue dans cette procédure, dans laquelle le registre est défendeur et non ce titulaire. Qu'en pense le panel désigné pour juger ce cas sensible ? Afin de se prononcer, celui-ci a procédé à une distinction selon la nature des noms : certains ne correspondent objectivement pas à des noms d'organismes publics, et comme tels n'auraient pas dû être accordés. Il en va ainsi des noms de domaine composés de TRNC et "Tourism", "Humanrights ", "Gov", "Info", "Pio", ou " Presidency" d'une part, et de noms associant la dénomination étatique avec un terme générique, comme north-cyprus-properties.eu ou north-cyprus-real-estate.eu. En revanche, les noms northcyprus.eu, north-cyprus.eu, northerncyprus.eu, northern-cyprus.eu, qui ne sont ni le nom complet du demandeur, ni sa désignation courante, ne font pas l'objet d'une annulation. Ils correspondent en outre à une partie de territoire dans laquelle leur titulaire, la République de Chypre, est l'autorité légitime (même si elle n'en a pas le contrôle effectif comme l'allègue la République Turque de Chypre du Nord). Chacune des parties peut donc se glorifier d'une demi-victoire. Elles étaient opposées dans l'espace territorial de Chypre, voici qu'elles s'affrontent symboliquement pour la conquête d'un autre espace, électronique celui-là ...
Cédric Manara Membre du comité scientifique de Juriscom.net Professeur associé, EDHEC Business School Panelist, Czech Arbitration Court / Arbitration Center for .eu Disputes
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