35 000 euros à titre de dommages-intérêts, c’est la somme dont Google Inc. devra s’acquitter auprès de Jean-Robert V. et Mathieu V. et de la Société Zadig Productions pour la diffusion du documentaire « Les enfants perdus de Tranquility Bay » à partir de son site Google Video (TGI Paris, 19 octobre 2007 [Juriscom.net]).
Ce documentaire avait été diffusé sur France 2 le 11 mai 2006. Au courant du mois d’avril, ayant été informé que son œuvre était diffusée sur Google Video sans son autorisation, la Société Zadig Productions avait adressé à Google Inc. trois lettres de mise en demeure pour obtenir le retrait de son œuvre. Google s’est exécuté dans de courts délais puisqu’elle indiquait à la société Zadig avoir retiré l’accès au documentaire en cause. Comme on pouvait s’y attendre, ce dernier est réapparu un ou deux jours plus tard sur le service de Google Video, mais sous une autre adresse. Belote et rebelote, Zadig Productions envoie deux nouvelles lettres recommandées à la société Google qui s’exécute presque aussitôt.
La lassitude des demandeurs ne tarda pas à se matérialiser devant la juridiction parisienne. Ils assignèrent Google Inc. devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de leurs droits d’auteur et de producteur. Lorsqu’ils constatèrent que le contenu en cause refit surface une nouvelle fois sur le site de vidéo en streaming, le 1er décembre 2006, ils obtinrent du juge de la mise en état une ordonnance d’interdiction provisoire prononcée à l’encontre de la société Google Inc.
Google Video est une activité d'hébergement
Pour sa défense, cette dernière a fait valoir que son activité, relative à l’exploitation du site http://www.video.google.fr constitue une activité d’hébergement au sens de l’article 6.I-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l’économie numérique (dite LCEN). Elle a également rappelé que, au terme de cet article, sa responsabilité civile devait être écartée dès lors qu’elle avait agi promptement pour retirer les fichiers qui lui ont été notifiés.
La décision du TGI Paris du 19 octobre 2007 ne conteste nullement la nature de l’activité exercée par la société Google Inc. Elle rejette explicitement la qualité d’éditeur, que souhaitaient lui attribuer les demandeurs, constatant que « les contenus sont fournis par les utilisateurs eux-mêmes » et que cette situation « distingue fondamentalement le prestataire technique de l’éditeur, lequel par essence même, est personnellement à l’origine de la diffusion et engage à ce titre sa responsabilité ». Une victoire pour Google qui ne l’aidera toutefois pas à échapper à la condamnation.
Le TGI poursuit tout d’abord en rappelant que l’article 6.I-2 de la LCEN instaure non pas une exonération de responsabilité, mais une limitation de responsabilité dans des cas limitativement énumérés (la formule était similaire dans l’affaire jugée par la même formation du TGI de Paris le 13 juillet 2007 [Legalis.net], qui s’était conclue par la condamnation de Dailymotion). Le tribunal ne conteste cependant pas que la responsabilité de l’hébergeur doive être écartée pour le fichier qui lui a été notifié le 13 avril et qu’elle a promptement retiré le 15 avril.
Une obligation prétorienne nouvelle qui pose problème
Les magistrats de la 3ème chambre ont néanmoins estimé que Google Inc. ne pouvait invoquer le « bénéfice » de l’article 6.I-2 s’agissant des mises en ligne survenues postérieurement. Selon eux, il appartenait à Google, dès la première notification, de « mettre en œuvre tous les moyens nécessaires en vue d’éviter une nouvelle diffusion ».
Si la décision apparaît juste pour les ayants droit, auxquels il semble difficile de pouvoir demander de notifier l’hébergeur pour chaque nouvelle mise en ligne d’un contenu identique, elle appelle néanmoins un certain nombre de réserves quant à l’application des dispositions de la LCEN.
Il nous apparaît en effet difficile d’accepter que, dès lors qu’un contenu a été notifié à l’hébergeur, celui-ci doive mettre en œuvre les moyens nécessaires pour en éviter une nouvelle diffusion. Ceci pour deux raisons principales.
La première, c’est que le législateur a entendu lier la connaissance de l’existence d’un contenu litigieux à sa localisation précise sur le serveur de l’hébergeur. Ce constat découle de la lecture de l’article 6.I-5 de la LCEN relative à la procédure de notification qui indique que la connaissance des faits litigieux est présumée acquise par l’hébergeur lorsqu'il lui est notifié plusieurs éléments, dont « leur localisation précise » (6.I-5, 4ème tiret). A contrario, si l’adresse exacte du contenu présumé illicite n’est pas clairement délivrée à l’hébergeur, on ne peut présumer que celui-ci ait acquis la connaissance de son existence sur son serveur ou aurait dû l’acquérir par d’autres moyens, tels que ceux définis par le tribunal.
La deuxième raison, c’est qu’il existe une action spécifique au sein de la LCEN par laquelle un tiers lésé peut obtenir de l’autorité judiciaire que l’hébergeur mette en œuvre des moyens destinés à « prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne » (article 6.I-8 de la LCEN).
Ici encore, si le législateur a prévu que de tels moyens puissent être ordonnés par le juge des référés, ce n’est certes pas pour que l’on puisse reprocher à l’hébergeur d’avoir négligé de se les prescrire à lui-même.
Rappelons que le point d’équilibre entre la protection des droits des tiers et la liberté d’expression n’a pu être défini, au sein de la LCEN, qu’au fil de nombreuses navettes parlementaires.
La création prétorienne de nouvelles obligations à la charge des prestataires techniques a certes le mérite de l’inventivité, mais elle demeure problématique au regard des équilibres que le législateur a souhaité instituer.
Lionel Thoumyre
Consultant en Affaires Réglementaires IP/IT
Directeur de Juriscom.net