A l’occasion de l’examen en deuxième lecture du projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique, les députés ont adopté un nouvel article 2 quater (selon la nouvelle numérotation) imposant aux fournisseurs d’accès à l’internet d’insérer une mention avertissant des dangers du téléchargement.
Selon cet amendement parlementaire, « Quel que soit le support, toute publicité et toute promotion de téléchargement de fichiers des fournisseurs d'accès à internet doivent obligatoirement comporter une mention légale facilement identifiable et lisible rappelant que le piratage nuit à la création artistique ».
L’idée n’est pas nouvelle. Elle provient principalement des débats qui ont eu cours autour des nombreux spots publicitaires, diffusés par voie de communication audiovisuelle (télévision) ou de communication visuelle (affiches dans le métro), vantant la possibilité de télécharger rapidement et facilement toutes « mes musiques préférées » en un clic.
Souhaitant sensibiliser les pirates, les députés ont adopté la même logique que celle existante en matière de prévention de la santé. Ainsi, aux termes d’un arrêté modifié du 26 avril 1991, les paquets de cigarettes doivent faire figurer « un avertissement général couvrant au moins 30 % de la superficie externe de la surface correspondante de l'unité de conditionnement de tabac sur laquelle il est imprimé ». Cette mention devra être entourée « d'un bord noir, d'une épaisseur minimale de 3 mm, n'interférant en aucune façon avec le texte de l'information donnée » et être choisie par une liste fixée par un arrêté du 25 avril 2002 (Fumer peut entraîner une mort lente et douloureuse, etc…).
Cette logique de santé publique est-elle transposable ? Contrairement aux mesures sanitaires qui apparaissent dans les secteurs du tabac, de l’alcool ou de la pharmacopée, il ne s’agit pas ici d’opérer une protection du consommateur. Au contraire, le texte cherche ici à protéger le producteur d’un surplus de consommation gratuite.
En outre, la mesure semble trancher un débat qui agite depuis fort longtemps les spécialistes du droit d’auteur à l’ère numérique : le téléchargement constitue-t-il un acte de copie privée ? En imposant aux fournisseurs d’accès l’obligation de faire figurer un avertissement insistant sur les dangers du piratage pour l’avenir de l’industrie culturelle de « toute promotion de téléchargement de fichiers », les députés considèrent que le download constitue – implicitement – un acte de contrefaçon.
Plus généralement, cette mesure pourrait également causer un autre dommage collatéral. Le texte vise explicitement la promotion du téléchargement. Or, aucune distinction n’est faite entre promotion du téléchargement légal et échange de fichiers sur les réseaux P2P. En effet, n’y aura-t-il pas un effet « boomerang » en cas de promotion par un fournisseur d’accès de sa plate-forme légale de téléchargement payant de fichiers musicaux et l’obligation de rappeler que « télécharger tue l’industrie musicale ». L’internaute d’attention moyenne, concept purement juridique auquel aiment se rattacher de nombreux magistrats, arrive-t-il à saisir la différence – souvent subtile – entre télécharger un fichier sur KaZaa, sur la plate-forme de son FAI ou, comme c’est le cas aux Etats-Unis, sur iTunes après avoir décapsulé une bouteille de Pepsi Cola ?
Enfin, la dernière critique porte sur l’effectivité de la mesure. En effet, en ne précisant pas les modalités pratiques d’apposition de cette mention légale et à défaut de renvoi à un décret ou à un arrêté pour les déterminer, on peut douter du caractère opérationnel de l’obligation.
Le projet de loi souhaite soumettre à une telle obligation tous les supports promotionnels. Par exemple, on peut imaginer, à la télévision, que sera apposé en surbrillance (comme c’est le cas dans certains spots) un texte écrit en petits caractères et défilant à une vitesse … très haut débit. A la radio, entendrons-nous prochainement à la suite d’une publicité une voix grave nous annoncer que « l’abus de téléchargement est dangereux pour l’industrie musicale » ?
Sur l’internet, la multiplicité des supports publicitaires et les limitations techniques imposées par les prestataires (dimension, nombre d’octets, …) rendront à n’en point douter inefficace une telle obligation. Il suffit de faire un parallèle avec le secteur bancaire où dès lors qu’un encadrement fort de la publicité existe, les principales sociétés de crédit surfent sur les limites et finalement réalisent plus une promotion sur leur nom que sur leurs produits financiers.
Et c’est vrai que l’on peut déjà se perdre en conjectures en imaginant les futures mentions légales de demain qui devront figurer sur chaque pack « haut débit » (le packaging n’est-il pas également un outil de promotion ?) : « Protéger les enfants : ne leur faites pas respirer votre musique », « Télécharger crée une forte dépendance, ne commencez pas » et pourquoi pas « les téléchargeurs meurent prématurément ».
Mais également, on peut déjà se plonger dans la peau de l’internaute qui se promènerait devant une agence de l’opérateur historique et contemplerait une affiche où figurerait une mention, directement inspirée d’un arrêté du 24 novembre 2003, « Faites-vous aider pour arrêter de télécharger, téléphonez au 01 47... ... ... ».
Jean-Christophe Bobable
Juriste en droit des NTIC
jc.bobable@caramail.com