TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE TROYES
Chambre civile, le 4 juin 2008
Hermès International c/ Madame Cindy F, SA eBay France et eBay International AG
Mots clés : plateforme de commerce électronique, contrefaçon, LCEN, éditeur (non), hébergeur (oui), éditeur de service de communication au public en ligne (oui), responsabilité (oui)
Extraits :
" (...) Il se déduit de ce qui précède que les sociétés eBay exercent une activité de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique permettant à des particuliers, ou des professionnels, de vendre ou d’acquérir en ligne des biens ou services.
La société Hermès International ne conteste pas cette qualité de prestataire de stockage de service en ligne mais oppose que les sociétés eBay se comportent, non pas seulement en qualité d’hébergeur au sens de l’article 6.1.2 de la Loi précitée du 21 juin 2004, mais également comme un éditeur de site internet dans la mesure où elles contrôlent la présentation des pages de ce site et tirent des profits de l’exploitation des annonces des hébergés.
L’examen des pièces produites détermine que l’ordonnancement des annonces est effectivement réalisé par les sociétés eBay qui imposent une structure de présentation par cadres qui ressort d’une activité de gestion des contenus hébergés, notamment en choisissant de mettre en avant certaines catégories d’objets selon l’actualité. Par ailleurs, il n’est pas contesté par les sociétés défenderesses que leur activité d’hébergement trouve sa contrepartie dans leur intéressement sur les ventes réalisées qui tiennent compte notamment des options de mise en valeur des annonces choisies par les vendeurs.
S’il est donc incontestable que les sociétés eBay offrent aux utilisateurs de son service des moyens techniques permettant une classification des contenus et tirent profit des ventes ainsi réalisées, ces circonstances ne sauraient suffire à les qualifier d’éditeurs de contenu dès lors que lesdits contenus sont fournis par les utilisateurs eux-mêmes, que la structuration des informations hébergées est nécessaire à leur visibilité par le public et que la loi ne distingue pas entre Ies prestataires à titre gratuits et ceux qui font le choix d’une rémunération par l’hébergement.
II convient de souligner que la présentation des contenus sur la page d’accueil du site en cause relève d’une mise en page actualisée par catégorie d’achats, et non par annonces des vendeurs, ce qui démontre l’absence de choix éditorial sur les contenus hébergés.
Ces éléments distinguent fondamentalement le prestataire technique de l’éditeur de contenu, lequel par essence même, est personnellement à l’origine de la diffusion ou présente les contenus hébergés selon une ligne éditoriale délibérée.
Pour autant, en tant qu’elles mettent à disposition des vendeurs des outils de mise en valeur du bien vendu, organisent des cadres de présentation des objets sur leur site en contrepartie d’une rémunération, et créent les règles de fonctionnement et l’architecture de leur service d’enchères, les sociétés eBay doivent être considérées comme des éditeurs de services de communication en ligne à objet courtage.
Leur régime juridique ne recoupe pas celui des éditeurs de contenu qui restent soumis, aux termes de la LCEN et du décalque opéré sur la loi du 29 juillet 1881, à une responsabilité de plein droit. Néanmoins, en tant que sociétés de courtage éditrices de services de commerce, les sociétés eBay ne sont pas dispensées de veiller dans la mesure de leurs moyens, à ce que leur site internet soit pas utilisé à des fins répréhensibles.
Par conséquent, dans la gestion de son service de courtage en ligne, les sociétés eBay assument deux rôles différents hébergeur et éditeur de services.
Les sociétés eBay apportent la preuve que les conditions générales d’utilisation du site appellent l’attention des utilisateurs sur les risques de fraude (articles 5.1, 5.3 et 6.1), que le lien “signaler cet objet (programme de “Veille par la Communauté" et le programme “VeRo” (“Vérified Right Owners”) permettent aux utilisateurs ou à des tiers de signaler les produits illicites, et qu’elles ont mis en place une politique d’information des utilisateurs (par le biais notamment d’une foire aux questions sur la contrefaçon), de règlements relatifs à l’usage abusif des marques et d’outils de recherche à priori des annonces illicites (par le biais de mots-clés tels que "faux”, “réplique” ou “copie”).
S’il est valablement soutenu que ces sociétés disposent d’outils propres à rechercher des contenus contrefaisants, et que leur obligation ne saurait être assimilée à l’obligation de résultat imposée aux commissaires-priseurs quant à l’engagement qu’ils assument sur l’authenticité des objets vendus par leur intermédiaire, il n’en demeure pas moins que ces dispositifs trouvent leur limite pour les objets non délibérément référencés par les utilisateurs comme non authentiques. En effet, il est constant que les contrefaisants s’adaptent aux procédés de détection d’objets contrefaits par la simple affirmation dans leurs annonces de l’authenticité des produits qu’ils vendent.
Afin d’assurer une effectivité réelle au programme “VeRo” de notification des Produits contrefaits par les titulaires de droit de propriété, de garantir une information entière des acheteurs sur le bien référencé, et partant de respecter l’obligation de moyens, de veiller à l’absence d’utilisation répréhensible du site www.ebay.fr, il appartient aux sociétés défenderesses de solliciter, par tous moyens, des vendeurs qu’il précisent dans leur annonce les moyens d’identification de l’objet vendu (référence du produit, numéro de série, numéro de type, certificat d’authenticité, etc .,.) et d’afficher en caractères suffisamment lisibles les références ainsi apportées, l’absence de connaissance de celles-ci ou le défaut de réponse.
En outre, le respect de l’obligation de moyens auquel est tenu l’éditeur de services en ligne impose à celui-ci d’assurer une information pleine et parfaite aux utilisateurs de son service. A cet effet, les sociétés eBay doivent prendre toutes les mesures de nature à avertir le vendeur et l’acheteur qui acceptent les conditions générales d’utilisation (CGU) du site des conséquences civiles et pénales d’éventuels actes de contrefaçon, des contrôles de l’authenticité des objets vendus par les titulaires de droits et de la possibilité d’une transmission des données personnelles à ces derniers, de telle manière que cette information se distingue de façon apparente des conditions d’utilisation.
En l’occurrence, il résulte des pièces versées aux débats que pendant la période où Madame Cindy F a vendu les sacs Hermès et leurs accessoires contrefaits, les mesures techniques adoptées par les sociétés eBay n’étaient pas de nature à permettre une information pleine et entière des utilisateurs et des titulaires de droit de propriété intellectuelle, de telle manière que les sociétés eBay n’ont pas rempli leur obligation de veiller à l’absence d’utilisation répréhensible de son service par Madame Cindy F, laquelle assurait l’authenticité des sacs à main qu’elle offrait à l’achat.
Il convient notamment de souligner que, en ne sollicitant pas du vendeur qu’il dépose sur son annonce tout moyen d’identification des sacs vendus, les sociétés eBay n’ont pas permis d’assurer leur obligation de moyens d’information des titulaires des droits de propriété intellectuels dont l’attention serait appelée sur des biens sans référencement connu de sorte que la veille des objets contrefaits par ces sociétés, dans le cadre du programme “VeRo”, serait facilitée.
De même, l’obligation de moyens d’information des utilisateurs n’est pas assurée de manière suffisante par l’insertion dans les CGU de simples mentions sur les actes frauduleux et la qualité des informations personnelles dès lors que celles-ci sont sans caractère apparent et propre à se distinguer suffisamment des autres mentions contractuelles d’utilisation du service, ce qui nécessite la mise en place d’une page spécifique d’information.
En conséquence, les sociétés eBay engagent donc leur responsabilités à l’égard de la société Hermès International pour ne pas satisfaire pleinement à leur obligation de veiller à l’absence d’utilisation répréhensible de son site au sens de l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle. (...)"
Minute intégrale de la décision au format PDF ci-dessous