TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
3ème chambre - 1ère section, le 22 septembre 2009
ADAMI, Omar S., Fred T. et a. c/ Sté Youtube
Mots clés : plateforme de partage de video - web 2.0 - hébergeur (oui) - contrôle des contenus (non) - respect de la procédure de notification (non) - connaissance du caractère manifestement illicite (non) - obligation de contrôle des contenus a priori (non) - obligation d'identification des fournisseurs de contenus en l'absence du décret d'application de l'article 6.III LCEN (non)
Extraits :
"(...) Par ailleurs, le fait que le site de YOUTUBE contienne des contenus stockés fournis par des tiers et d’autres édités par elle-même n’exclut pas davantage la qualité d’hébergeur au sens de l’article 6-1-2 en soi, dans la mesure où le prestataire peut avoir plusieurs qualités dès lorsqu’il exerce différentes activités sur des contenus bien distincts et ce en fonction des contenus qu’il diffuse et de son rôle dans cette diffusion. Ainsi, si la société YOUTUBE a conclu des partenariats, force est de constater que cette activité qui peut procéder d’une activité éditoriale ne concerne pas son activité de stockage des vidéos des internautes dont font partie les vidéos litigieuses. (...)
En conséquence, le contrôle des contenus des vidéos envoyées par les internautes selon des choix fixés par un comité de rédaction propre au site n’étant pas démontré, la demande de qualification de la société YOUTUBE comme éditeur sera rejetée. (...)
Elle ne peut être tenue pour responsable que si les vidéos ont un caractère manifestement illicite ce qui dans ce cas, l’oblige à déréférencer d’elle-même et sans attendre une décision de justice, les vidéos en matière de pédophilie, de crime contre l’humanité et d’incitation à la haine raciale.
Le texte ne vise expressément que ces trois cas pour ce qui est des documents ayant un caractère manifestement illicite qui entraînent une obligation de retrait immédiat volontaire de la société hébergeuse.
Pour tous les autres cas et notamment les cas de contrefaçon, le fournisseur d’accès qui stocke en vue de leur mise en ligne des signaux d’écrits, d’images et de sons de toute nature fournis par des destinataires de ces services, n’est tenu responsable que pour autant qu’il ait eu une connaissance effective du caractère manifestement illicite des vidéos stockées ou de faits faisant apparaître ce caractère.
La connaissance effective du caractère manifestement illicite d’une atteinte aux droits patrimoniaux ou moraux des auteurs ou producteurs ne relève d’aucune connaissance préalable et nécessite de la part des victimes de la contrefaçon qu’ils portent à la connaissance de la société qui héberge les sites des internautes, les droits qu’ils estiment bafoués, dans les conditions prévues à l’article 6-I.5 de la loi du 21 juin 2004. Cette connaissance ne peut donc résulter d’une recherche proactive visant à identifier les contenus illicites puisque l’article 7 dispense expressément l’hébergeur d’une telle recherche.
L’article 6-I.5 de la loi du 21 juin 2004 prévoit explicitement que l’internaute qui veut faire cesser une mise en ligne qu’il estime constituer une atteinte à ses droits, doit adresser à l’hébergeur une demande qui identifie clairement les vidéos litigieuses de façon à permettre à la société qui n’a pour objet que de stocker et mettre en ligne ces oeuvres, de les reconnaître dans la masse des documents mis en ligne et de les retirer. Il doit faire la description des faits litigieux et donner leur localisation précise ainsi que les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits. (...)
Les seules pièces qui ont permis à la société YOUTUBE de procéder au retrait des vidéos litigieuses ont été les procès-verbaux de constat d’huissier ou de l’ADAMI qui seuls comportaient suffisamment d’éléments pour identifier les vidéos que les demandeurs considéraient comme contrefaisantes. (...)
Les demandeurs reprochent dans un second temps à la société YOUTUBE d’avoir remis en ligne le contenu signalé comme contrefaisant et plus précisément de ne pas avoir mis en oeuvre tous les moyens nécessaires en vue d’éviter une nouvelle diffusion. La LCEN n’exige pas de l’hébergeur un contrôle a priori des vidéos postées sur son site et elle prévoit une signalisation précise des vidéos litigieuses notamment de leur localisation. Il ne peut donc être exigé de l’hébergeur un contrôle plus large une fois les vidéos signalées et retirées et l’obligation de retrait des vidéos litigieuses remises en ligne ne peut porter que sur les mêmes données précisément identifiées et localisées notamment par leur adresse URL notifiées, sauf à ce que l’hébergeur ait pu mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires en vue d’éviter une nouvelle diffusion. (...)
En conséquence, il ne peut être en l’état exigé de l’hébergeur de fournir les éléments d’identification personnelle, étant rappelé qu’il ne peut être procédé par analogie avec les éléments d’identification de l’éditeur expressément énumérés à l’article 6-III quand la loi induit une distinction entre les deux catégories d’éléments d’identification et qu’elle renvoie pour la définition de celles de la présente procédure à un décret en Conseil d’Etat.
A titre superfétatoire, le tribunal relève que la société YOUTUBE collecte systématiquement l’adresse email et l’adresse IP qui sont des données de nature à permettre l’identification des utilisateurs. Là encore, les demandeurs sont malfondés à reprocher à la société YOUTUBE le non-respect des obligations légales de la LCEN. (...)".
Intégralité de la minute du jugement disponible ci-dessous au format PDF