TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
Ordonnance de référé, le 13 juin 2005
UEJF, SOS Racisme, AIPJ J'Accuse, MRAP et a. c/ OLM, Globat, Planet.com, France Télécom, Free, AOL France, Tiscali, Neuf Télécom et a.
Mots clés : fournisseurs d'accès - révisionnisme - propos nazis - responsabilité - filtrage - LCEN
Commentaire de Olivier Masset
Extraits :
"(...) Sur la demande aux fins de faire cesser le dommage
Attendu que les fournisseurs d’accès font pour l’essentiel valoir que la mesure prescrite doit respecter le principe de proportionnalité et être précisée, alors qu’il n’existerait qu’un nombre limité de méthodes envisageables pour interdire l’accès au site ; que certains d’entre eux affirment même que les techniques disponibles ne permettraient pas d’y parvenir, l’astreinte étant enfin inappropriée en l’espèce ;
Attendu en premier lieu qu’il ne nous appartient pas de porter d’appréciation, comme le suggèrent les sociétés AOL France, France Télécom ou Tiscali Accès, sur la conformité du dispositif à envisager aux principes constitutionnels, les fournisseurs d’accès ne pouvant par ailleurs prétendre s’affranchir des obligations prévues à l’article 6-1.8 de la loi déjà citée au prétexte qu’ils sont tenus au respect d’autres obligations en vertu du même texte ;
Attendu qu’il convient certes de rappeler que le dommage retenu dans la précédente décision est représenté par l’accès à l’ensemble du contenu du site en question, la mesure à envisager devant conduire à empêcher l’accès au site, et non à tout ou partie de son contenu ;
Que toutefois il s’agit d’examiner, à l’égard de ces prestataires qui représentent l’essentiel du marché de l’accès en France à l’internet, la mise en œuvre de toutes mesures propres à faire cesser le dommage occasionné par le contenu du site en rapport avec l’hébergement à la seule adresse "www.vho.org/aaargh" et la diffusion sur le seul territoire français ;
Qu’en effet, les associations demanderesses ne peuvent être suivies en leur demande tendant à prévoir toutes autres diligences pouvant s’avérer nécessaires en cas de modification des conditions d’hébergement, que l’examen d’une telle demande générale et imprécise, de nature au surplus à mettre à la charge des défendeurs une obligation de surveillance excédant celle prévue par les textes visés, outrepasse les pouvoirs de cette juridiction ;
Qu’en second lieu, près d’une année s’est écoulée depuis que les dispositions légales invoquées à l’appui de la mesure ont été prises, après débat très large au sujet de l’état de la technologie de nature à en assurer l’application effective ; que depuis lors, les défendeurs n’ignorent pas que la technologie en question a évolué significativement ;
Qu’ensuite les différentes méthodes citées par les défendeurs sont qualifiées de principales par l’auteur de la consultation sur laquelle s’appuient les défendeurs, et n’épuisent donc pas d’évidence toutes les possibilités qui leur sont offertes ;
Que d’autre part l’étude en question ne prend pas en compte les caractéristiques techniques propres au fonctionnement du site considéré, en regard de l’architecture de chaque fournisseur d’accès ;
Qu’aussi, si elle signale les inconvénients inhérents à telle ou telle méthode pouvant être adoptée, ceux-ci ne peuvent être tenus pour inéluctables, ni la méthode en question être considérée comme insusceptible d’être modulée ;
Attendu en conséquence que les défendeurs ne sauraient être suivis en leurs arguments invoquant l’inefficacité des mesures ; qu’il est d’ailleurs relevé que le site se trouverait très mal référencé sur les moteurs de recherche francophones, et peut être observé au sujet du risque allégué d’éclatement du contenu du site l’importance en nombre des pages offertes à la consultation et des ouvrages et brochures proposés au téléchargement ;
Que le risque de déménagements successifs de celui-ci dans des "paradis numériques" doit s’apprécier au regard de sa compatibilité avec l’accès du plus grand nombre ;
Attendu en définitive que les difficultés invoquées ne sauraient justifier un renoncement à agir ;
Attendu par ailleurs qu’aucune analyse précise s’appliquant à l’architecture de tel ou tel fournisseur n’est proposée ; qu’ainsi, si le GIP Renater soutient que les caractéristiques de son réseau ne lui permettent pas de répondre à cette obligation, celui-ci ne s’explique pas clairement sur ce point, comme sur l’incidence alléguée sur ses sites dédiés à son activité Recherche et Développement ;
Qu’il appartient en réalité à chacun des fournisseurs d’accès et pour ce qui concerne le GIP Renater en tenant compte des caractéristiques de son réseau, de mettre en œuvre tous les moyens dont il peut disposer en l’état actuel de sa structure et de la technologie, seul ou s’il l’estime opportun syndiqué avec d’autres, pour remplir cette obligation, sauf à démontrer pour chacun d’eux l’impossibilité technique d’y parvenir, et avec pour limite le respect de l’anonymat des internautes ayant eu l’occasion de consulter le site ;
Qu’il n’y a lieu pour ces motifs d’assortir cette injonction d’une astreinte ;
Qu’ils devront en revanche pour chacun d’eux justifier dans les conditions précisées ci-après des dispositifs précisément mis en œuvre et appropriés à la fin demandée ; (...)
DECISION
Statuant en audience publique, par ordonnance réputée contradictoire et en premier ressort,
(...)
Vu les dispositions de l’article 6-1.8 de la loi n°2004-575 du 22 juin 2004 dite pour la confiance dans l’économie numérique,
. Faisons injonction aux sociétés Suez Lyonnaise Télécom, Free, Tiscali Accès, France Télécom services, Neuf Télécom, T-Online France, NC Numéricable, AOL France, le groupement d’intérêt public Renater, Tele 2 France de mettre en œuvre toutes mesures propres à interrompre l’accès à partir du territoire français au contenu du service de communication en ligne hébergé actuellement à l’adresse www.vho.org/aaargh,
. Disons que chacun d’eux devra justifier auprès des demandeurs dans le délai de dix jours faisant suite au prononcé de la présente décision des dispositifs précisément mis en œuvre à la fin demandée, et qu’il nous en sera référé en cas de difficulté,
. Invitons les demanderesses et intervenantes volontaires en demande, au cas où elles entendraient bien poursuivre leurs diligences relatives aux astreintes à l’égard des prestataires d’hébergement auprès du juge compétent, ainsi que celles permettant s’il y a lieu de faire reconnaître aux décisions prises leur caractère exécutoire à l’égard de ceux-ci, à tenir informés les fournisseurs d’accès du résultat de celles-ci ; (...)"
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