TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DE BRUXELLES
le 5 septembre 2006
Société civile Copie Presse c/ Société de droit américain Google Inc.
Mots clés : articles - presse - exploitation - hyperliens - liens profonds - portail - préjudice économique (oui)
Extraits :
"(...)
3. Le rapport d'expertise
Attendu que l'expert GOLVERS (…) conclut que « Google News est à considérer comme un portail d'information et non un moteur de recherche » ;
Qu'il relève que le service Google News se qualifie lui-même comme un site d'information en ligne, en ces "termes: « Cette diversité de perspective et d’approche est unique parmi les sites d'information en ligne et nous considérons comme une tâche essentielle de vous aider à rester informés sur les sujets qui vous Importent le plus. » ;
Attendu qu'il relève que le site est alimenté à l'aide des informations puisées dans la presse, ce qu'il a mis en évidence en procédant à de nombreux tests à partir de sites d'information de différents quotidiens francophones belges;
Attendu que ces recherches l'ont notamment conduit à mettre en évidence que, lorsqu'un article est toujours en ligne sur le site de l'éditeur belge, Google renvoie directement, via le mécanisme d'hyperliens profonds, vers la page ou se trouve l'article mais que, dès que cet article n'est plus présent sur le site de l'éditeur de presse belge, il est possible d'en obtenir le contenu via l'hyperlien « en cache » qui renvoie vers le contenu de l'article que Google a enregistré dans la mémoire « cache» qui se trouve dans la gigantesque base de données que Google maintient dans son énorme parc de serveurs;
Attendu enfin qu'il se déduit du rapport de l'expert que : le mode de fonctionnement actuel de Google News fait perdre aux éditeurs de presse quotidienne le contrôle de leurs sites web et de leur contenu (voir à ce sujet les tests menés par l'expert qui montrent tes effets d'un retrait d'article, pages 42 à 67 du rapport) ;
(…) l'utilisation de Google News contourne les messages publicitaires des éditeurs lesquels tirent une partie importante de leurs revenus de ces insertions publicitaires (pages 13 à 18, 108 à 119 du rapport) ; (…)
5. Le préjudice occasionné à la demanderesse
Attendu que la demanderesse se plaint de ce que les activités de Google Inc. mettent en péril la vente électronique des articles de presse mais également toute la presse quotidienne ainsi qu'à court terme la qualité des articles puisque les éditeurs risquent de ne plus bénéficier de ressources suffisantes pour rémunérer correctement leurs journalistes;
Qu'en effet, et comme l'a mis en évidence le rapport d'expertise, l'activité de la défenderesse est de nature à faire perdre aux éditeurs une part Importante de leurs revenus tirés des recettes publicitaires qu'ils perçoivent;
Qu'indépendamment de ce préjudice financier immédiat, la vente électronique d'articles est menacée, ainsi que le ressources tirées de l'archivage des articles, dont la consultation est payante; (…)
6. Mesures sollicitées
Attendu que la violation des dispositions re1atives aux droits d'auteur justifie que les mesures telles que sollicitées par la demanderesse et reprises au dispositif des présentes soient ordonnées;
7. L'astreinte
Attendu que la demanderesse sollicite du tribunal qu'en cas de manquement aux mesures dont elle demande je bénéfice d’une astreinte de 2.000.000 € par jour de retard soit prononcée dans l'hypothèse où la défenderesse ne se conformerait pas à I’ordre de retirer de tous ses sites les articles, photographies, représentations graphiques des éditeurs belges de presse quotidienne francophone et germanophone ainsi qu'une astreinte de 2.000.000 € par jour de retard faute pour la défenderesse de publier sur la home page de 'google.be' et de 'news.google.be' pendant une durée ininterrompue de 20 jours l'intégralité du jugement à intervenir à dater de la signification de l'ordonnance;
Attendu qu'elle motive l'importance de cette demande par le fait que la défenderesse affiche un chiffre d'affaires de près de 13 millions de dollars par jour;
Qu'elle met également en évidence la capacité technique de la défenderesse de retirer du contenu de ses bases de données les articles et informations litigieuses en manière telle qu'elle ne s'expose pas à de grandes difficultés pour s'exécuter;
Attendu que le tribunal de céans ne manque pas d'être surpris par l'attitude de la défenderesse qui n'a pas jugé utile de participer à la mission d'expertise, malgré les invitations qui lui avaient été adressées par l'expert judiciaire, et qui ne comparaît pas;
Attendu que cette attitude constitue une indication de ce que les craintes que nourrit la demanderesse sur la mauvaise volonté que mettra à la défenderesse à s'exécuter pourraient être fondées;
Qu'il ne peut être admis par ailleurs qu'elle persiste à retirer un bénéfice élevé à l'aide, notamment, du travail intellectuel d'autrui, tout en spéculant sur les difficultés qu'éprouvent les auteurs et éditeurs de journaux dans un contexte technologique extrêmement complexe pour mettre fin à cette appropriation illégitime de leur travail;
Que l'attitude de la défenderesse est d'autant plus surprenante que dans d'autres pays, certes plus Importants que la Belgique, la défenderesse s'est engagée dans des négociations avec les éditeurs de journaux pour résoudre la question du respect des droits d'auteur;
Attendu qu'il résulte de l'expertise que les capacités techniques dont dispose la défenderesse, et qui sont hors de proportion avec les moyens de la presse écrite francophone d'un pays comme la Belgique, lui permettent d'adopter une attitude qui confine à l'indifférence, alors qu'elle retire un bénéfice de la diffusion sur la toile d'un contenu qui a nécessité la mise en commun de moyens rédactionnels et éditoriaux importants de (a part de journalistes et d'éditeurs de journaux, dont l'activité est essentielle dans une société démocratique;
Attendu que dans cette mesure, il paraît effectivement indiqué d'assortir les mesures d'interdiction ordonnées d'une astreinte, au risque qu'elles soient dépourvues de toute efficacité;
Qu'il parait approprié au tribunal que celle-ci soit déterminée comme suit:
- retrait des articles de tous les sites: 1.000.000 € par jour de retard dans les 10 jours de la signification de l'ordonnance à intervenir;
- la publication pendant 5 jours de l'intégralité du présent jugement: 100.000 € par jour de retard dans les 10 jours de la signification de l'ordonnance à intervenir; (…)"
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