COUR D'APPEL DE PARIS
14ème chambre - Section A, le 12 décembre 2007
Société Google Inc. et Société Google France c/ Société Benetton Group et Société Bencom
Mots clés : blog - contrefaçon de marque - hébergement - manifestement illicite (oui) - retrait (non) - responsabilité (oui) - communication des données d'identification
Extraits :
"(...) Sur la connaissance de l’illicéité des données litigieuses par GOOGLE INC
(...) Que l’hébergeur, s’il n’est pas responsable du contenu des données qu’il héberge, doit, lorsqu’il se voit dénoncer des donnée dont le contenu est déclaré illicite, non s’en remettre à l’appréciation des juges, mais apprécier si un tel contenu a un caractère manifestement illicite et, dans cette hypothèse, supprimer ou rendre inaccessible de telles données;
Que, selon les termes de l’article 6.I.5 de la LCEN, la connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les fournisseurs d’accès et les hébergeurs lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :
- date de notification,
- éléments d’identification du notifiant,
- éléments d’identification du destinataire,
- description des faits litigieux et leur localisation précise,
- motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications des faits,
- copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.
Qu’en vertu des dispositions de l’article 6 1.7 de la LCEN, les fournisseurs d’accès et les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance ou de recherche des faits;
Qu’il appartenait, donc, aux intimées de rechercher et de communiquer à la société GOOGLE INC les informations justifiant du caractère manifestement illicite du contenu litigieux;
Que c’est en fonction de l’information communiquée à GOOGLE INC que peut être appréciée la connaissance que cette dernière pouvait avoir du caractère manifestement illicite des faits dénoncés;
Que dès lors que n’est établie que la communication à GOOGLE FRANCE d’une dénonciation sans autre justification que le copie de la demande faite à “Angela Brozzi” de mettre un terme à son activité sur l’internet, les intimées ne peuvent soutenir que la connaissance des faits litigieux par cette société était, alors, acquise;
Que les intimées affirment qu’elles ont communiqué leurs pièces le 3 mai 2007 en délivrant leur assignation ; que GOOGLE INC ne conteste pas cette affirmation lorsqu’elle indique qu’elle n’a pas eu connaissance des dites pièces avant que les intimées agissent en référé;
Que le blog litigieux a été retiré le 8 juin 2007, selon les intimées, et le 6 juin 2007, selon les appelantes;
Qu’il résulte de ce qui précède que c’est en communiquant aux appelantes, après les avoir assignées, les pièces témoignant de leurs droits sur les marques du groupe BENETTON, de ce qu’aucune “Angela Brozzi” ne travaillait pour ce groupe, de ce que le visage de cette dernière apparaissait sur l’internet sous un autre nom, de ce que les photographies figurant sur le blog litigieux étaient celles d’un catalogue du groupe BENETTON, de ce que l’éditeur non professionnel se cachant sous le nom d”Angela Brozzi” réclamait à des jeunes femmes, en invoquant faussement un motif professionnel, des photographies d’elles en maillot de bain ou sous-vêtements, que les intimées ont fourni les justifications qui permettaient à GOOGLE INC de prendre connaissance du caractère manifestement illicite du contenu dénoncé;
Que GOOGLE INC ne conteste nullement que ce caractère manifestement illicite était établi et connu d’elle dès lors qu’elle était en possession de ces pièces; qu’elle se devait, donc, d’agir, alors, promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible, sans attendre la décision du premier juge;
Que l’appelante n’ayant procédé au retrait du blog litigieux que le 6 ou le 8 juin 2007, sa responsabilité civile était engagée à partir du 3 mai précédent et jusqu’à la date de ce retrait;
Que c’est, donc, pertinemment que le premier juge a estimé que GOOGLE INC n’avait pas respecté les dispositions de la LCEN, s’agissant de la promptitude nécessaire avec laquelle un hébergeur doit retirer ou empêcher l’accès à des données dont le contenu est manifestement illicite, ce manquement n’étant, cependant, établi qu’à compter du 3 mai 2007;
Sur l’obligation de communiquer des données permettant l’identification
Considérant que, selon les dispositions de l’article 6.III.2 de la LCEN, les personnes éditant à titre non professionnel un service.., peuvent ne tenir à disposition du public, pour préserver leur anonymat, que le nom, la dénomination sociale et l’adresse de du “prestataire mentionné au 2 du I”, donc, de l’hébergeur, sous réserve de lui avoir communiqué les éléments d’identification personnelle “prévus au 1”, donc, s’agissant de personnes physiques, leurs nom, prénoms, domicile, numéro de téléphone;
Que ces dispositions, claires, ne nécessitent aucune interprétation s’agissant des éléments d’identification d’un éditeur non professionnel que doit détenir son hébergeur;
Que, selon les dispositions de l’article 6.II du même texte, les fournisseurs d’accès et les hébergeurs détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu des services dont elles sont prestataires et fournissent aux personnes qui éditent un service de communication au public en ligne des moyens techniques permettant à celles-ci de satisfaire aux conditions d’identification précitées, un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la CNIL, devant définir les données détenues et conservées;
Qu’il résulte de ce qui précède que l’éditeur non professionnel ayant créé un blog sous le nom d”Angela Brozzi”, était tenu de communiquer ses éléments d’identité à GOOGLE INC et que cet hébergeur devait détenir et conserver les données de nature à permettre l’identification de cet éditeur, parmi lesquelles devaient, donc, figurer ces éléments d’identité;
Que si la LCEN a prévu qu’un décret définirait l’ensemble des données de nature à permettre l’identification détenues par les fournisseurs d’accès et les hébergeurs, elle a, au moins, s’agissant des seuls hébergeurs, précisé que ces derniers seraient destinataires du nom, du prénom, du domicile et du numéro de téléphone des éditeurs non professionnels hébergés par eux;
Que la société GOOGLE INC s’est engagée devant le juge des référés, qui lui en a fait l’injonction, à communiquer, si elle en était requise, les éléments de nature à permettre l’identification de “quiconque a contribué à la création des contenus litigieux”;
Que “l’espace profil de l’utilisateur” que produit GOOGLE INC. ne permet à l’éditeur non professionnel de satisfaire à son obligation d’identification que lorsqu’il use de la simple faculté qui lui est offerte de donner son identité ; qu’il ne permet pas à cet hébergeur de satisfaire pleinement aux siennes, dès lors qu’il n’impose pas cette fourniture d’identité par l’éditeur et, donc, sa détention par l’hébergeur;
Que l’adresse IP, si elle constitue une donnée personnelle, ne permet d’identifier qu’un ordinateur;
Que cet état de fait a été confirmé par Eric SCHMIDT, président directeur général de GOOGLE, dans un article du journal LE MONDE, en date du 19 septembre 2007, soulignant que “l’adresse IP, numéro attribué à un ordinateur, ne (permettait ) pas d’identifier réellement une personne, ne donnant, quoi qu’étant une donnée personnelle, aucune indication sur son identité ou son lieu de résidence”;
Que GOOGLE INC ne pouvait, donc, se contenter de fournir aux intimées une adresse IP en les renvoyant au fournisseur d’accès du blog litigieux pour obtenir l’identité de l’auteur du blog litigieux, alors qu’en qualité d’hébergeur, elle devait disposer, pour respecter la LCEN, des éléments d’identité qu’il lui étaient demandés;
Que GOOGLE INC ne démontre nullement que le fournisseur d’accès du blog litigieux entendait, quant à lui, respecter l’obligation de détention des éléments d’identité de l’éditeur considéré et qu’en fournissant une adresse IP, elle donnait aux intimées le moyen d’identifier l’éditeur non professionnel de ce blog;
Que c’est, donc, pertinemment que le premier juge a estimé que GOOGLE INC n’avait pas respecté les dispositions de la LCEN, relatives à la conservation de données de nature à permettre l’identification de l’éditeur du blog litigieux (...)"
Minute intégrale de l'arrêt téléchargeable au format PDF ci-dessous