Interview parue dans La Dépêche Entreprises du 26 décembre 2007
Propos recueillis par Agnes Fremiot
Pourriez-vous nous expliquer brièvement ce qu'est "Second Life" ?
Second Life est un univers virtuel (metavers) en trois dimensions accessible sur Internet édité par la société américaine Linden Lab. Comme son nom l’indique, il permet à ses utilisateurs de simuler une « seconde vie » par l’intermédiaire d’un personnage (avatar) créé virtuellement, comme dans un jeu de rôle en ligne. Toutefois, Second Life n’est pas vraiment un jeu. D’abord, parce qu’aucun scénario n’est établi à l’avance par l’éditeur. Ce sont les utilisateurs qui font évoluer ce monde virtuel au gré de leurs envies et de leurs réalisations. Ensuite, parce que le Linden Dollar, qui est la monnaie virtuelle utilisée dans le jeu, est convertible en Dollars américains lorsqu’il est échangé entre joueurs. Ces derniers ont donc la possibilité de gagner de l’argent (réel) en interagissant avec les autres résidents. C’est en cela que ce metavers constitue un phénomène nouveau.
Ce phénomène a-t-il un impact économique?
A ce jour, Second Life compte des millions d’utilisateurs et il s’y échange plusieurs millions de dollars chaque mois. De grandes entreprises ont investi cet univers virtuel afin d’en exploiter les potentialités commerciales, voire de recruter leurs futurs collaborateurs ! Il y a quelques mois, la presse du monde entier s’est fait l’écho de la réussite bien réelle d’Ailin Graef, cette jeune allemande d’origine chinoise, qui est devenue millionnaire en vendant des maisons virtuelles sur Second Life… Ce monde virtuel a donc incontestablement un impact sur l’économie réelle.
Quels problèmes juridiques pose-t-il ?
Second Life est régi par ses propres règles. L’on y retrouve certains droits classiques, comme les droits de propriété intellectuelle dont peuvent bénéficier les utilisateurs sur leurs créations graphiques (vêtements, architectures…). Ces droits se traduisent par de simples procédés techniques empêchant les autres avatars de reproduire ou modifier lesdites créations. La vraie difficulté, sur le plan juridique, tient au caractère bidimensionnel de Second Life. Comme nous l’avons vu précédemment, cet univers peut interagir sur le monde réel en raison notamment de la possibilité de convertir les Linden dollars en dollars américains. C’est ainsi qu’un avocat américain a attaqué en Justice l’éditeur de Second Life pour l’avoir exproprié de terrains virtuels achetés pour la somme de 8.000 dollars US. Linden Lab justifie cette décision par le fait que l’avocat a trouvé une faille de sécurité dans le système d’enchères qui lui a permis de revendre les terrains avec une plus grande plus-value…Cette affaire montre comment les normes virtuelles et réelles peuvent se télescoper. Un tel phénomène peut également se produire dans d’autres domaines comme celui de la liberté d’expression, du commerce électronique ou du droit des marques. Mais pour l’heure, les affaires portées en Justice sont peu nombreuses.
En France, une association a lancé des poursuites contre ce site. Pourquoi ? Quel a été le destin de cette procédure ?
L’association Familles de France a effectivement assigné Linden Research en référé au motif que le site Second Life permettait aux mineurs d’accéder facilement à des contenus violents, pornographiques ou portant gravement atteinte à la dignité humaine. L’association sollicitait la condamnation de l’éditeur du jeu à faire cesser ce trouble manifestement illicite. Le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris l’a déboutée de sa demande au motif que la preuve de ses allégations n’était pas établie par des pièces suffisantes. Partant, le Juge ne s’est pas prononcé sur le fond de l’affaire qui consistait à savoir si la société Linden devait être considérée comme un simple fournisseur d’hébergement ou comme l’éditeur de tous les contenus du site Second Life. La question était importante dans la mesure où le régime de responsabilité est moins strict dans le premier cas que dans le second. Seul l’avenir nous dira si la jurisprudence entend y répondre avec la même sévérité qu’en matière de streaming vidéo.
Michaël Malka
Avocat au Barreau de Toulouse
Chargé d’enseignement à l’ESC