Les liens commerciaux sont sous les feux de l'actualité juridique. Cette forme de publicité contextuelle, apparaissant avec les résultats de moteurs de recherche, mais aussi en marge des pages web de rédactionnel ou encore au sein des fils RSS, est rendue possible par des outils logiciels et l'activité d'acteurs venus du secteur des moteurs de recherche.
Se posent donc de nouvelles questions juridiques quant à la responsabilité de ces acteurs, dans le cadre de leur activité de prestataires en matière de liens commerciaux.
Après l'affaire « Bourse des Vols », première d'une vague de décisions judiciaires françaises, le Forum des droits sur l'Internet a émis en juillet 2005 une recommandation [foruminternet.org] à l'attention des titulaires de droits s'estimant lésés, des annonceurs et des « fournisseurs de liens commerciaux ». N'apportant pas d'éléments concernant la qualification de l'activité de ces derniers et le régime de responsabilité qui en découle1, les recommandations du Forum se bornent à énoncer des conseils de bon sens. Elles s'adressent ainsi aux acteurs eux-mêmes et non à l'autorité judiciaire.
Dernière affaire en date, le jugement [juriscom.net] du 24 juin 2005 rendu par le Tribunal de grande instance de Paris, tranche un litige ayant trait à l'affichage de liens commerciaux dans les résultats de recherches sur Google lors de la saisie dans le formulaire de recherche du terme « amen ».
La société Agence des Médias Numériques, connue sous son sigle et nom commercial AMEN et titulaire d'une marque éponyme, reproche à sa concurrente, la société Espace 2001, d'avoir acquis auprès de Google le mot clé « AMEN » afin d'afficher des liens commerciaux. Elle sollicite la condamnation de la société Espace 2001 solidairement avec la société Google France.
Sans surprise, les magistrats condamnent l'annonceur et retiennent une fois de plus la responsabilité de la société Google France stigmatisant son outil de suggestion de mots clés.
Pour sa défense, la société Google France réitère les arguments qu'elle a déjà invoqués en pareil cas devant les tribunaux français : elle conteste avoir imité ou utilisé la marque en cause, et invoque les dispositions de l'article 6 de la loi du 22 juin 2004 (LEN) instaurant un régime de responsabilité allégée au bénéfice des intermédiaires de stockage. Une fois de plus cette argumentation est balayée par les juges.
Pour retenir qu'il y a bien usage - au sens de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle - par Google du signe litigieux, le tribunal expose que dans le cadre du service de générateur de mots clé, « c'est Google et non pas l'annonceur qui fait apparaître à l'écran le terme litigieux ». Cet usage n'intervient pas hors du champ de protection de la marque puisque dans la liste des termes suggérés, « l'apparition de ce signe est réalisée en fonction de l'activité menée par l'annonceur ; (…) il s'agit en effet pour Google de proposer des mots clés pertinents ».
L'atteinte à la marque est caractérisée aux yeux des magistrats : « le mot clé litigieux 'AMEN', une fois retenu par l'annonceur, va permettre de faire apparaître, en réponse à la requête AMEN, à droite des résultats de recherche, la présence d'un lien commercial pointant vers le site de la société ESPACE 2001 qui est de nature à créer un risque de confusion lequel comprend le risque d'association entre les Sociétés AMEN et ESPACE 2001 ».
Le tribunal considère « dès lors, que GOOGLE qui a proposé et fait apparaître le signe « AMEN » pour les services considérés, et ESPACE 2001 qui l'a choisi, ont commis des actes de contrefaçon au sens de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ».
Outre sa marque, la demanderesse invoquait les droits attachés au terme « AMEN » en tant que sigle et nom commercial. Le jugement retient que la reprise de ce terme caractérise des actes de concurrence déloyale3
Les juges ordonnent à la société Google France de supprimer de son générateur de mot clé « toute référence totale ou partielle aux signes ' AMEN ! Agence des Médias Numériques ' » et prononcent des mesures d'interdiction d'usage de la marque AMEN, ces sanctions étant assorties de l'exécution provisoire et de mesures d'astreinte.
Concernant le préjudice, le tribunal admet que la société Google France avait, avant que l'affaire ne soit portée devant le tribunal, « réagi promptement » en supprimant les liens commerciaux litigieux et reconnaît qu'aucun annonceur ne peut plus désormais faire usage du terme « AMEN » à titre de mot clé, le terme ayant semble-t-il alors été bloqué par la société Google France.
Toutefois, ces efforts ne suscitent aucune clémence puisque c'est solidairement que les deux défendeurs sont condamnés au paiement d'une somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Frédéric Glaize
Membre du Comité éditorial de Juriscom.net
Conseil en Propriété Industrielle
Meyer & Partenaires
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1 Dans l'affaire « Bourse des Vols » la société Google France (dont les représentants ont participé au groupe de travail du Forum des droits sur l'Internet) avait toutefois demandé qu'il soit sursis à statuer jusqu'à la parution des recommandations. Ces questions particulièrement délicates n'ont cependant pas pu faire l'objet d'un consensus au sein du Forum.
Il s'agit en réalité de la marque.
3 En sens contraire : après avoir accueilli le grief de contrefaçon de marques, le TGI de Nanterre, dans son jugement du 17 janvier 2005 (Accor / Overture), a rejeté les demandes basées sur la dénomination sociale et les noms commerciaux du demandeur.