La chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Vannes s'est prononcée, le 29 avril 2004, sur une affaire de contrefaçon opposant six individus à divers éditeurs et producteurs de l'industrie musicale et cinématographique ainsi qu'à des sociétés de gestion de droits.
Cette décision s'inscrit dans une controverse de plus en plus médiatisée, aux termes de laquelle les acteurs de l'industrie culturelle déclarent commencer une série de procédures juridiques et d'actions médiatiques visant à décourager l'usage des logiciels d'échange de fichiers sur les réseaux P2P. Il semble cependant qu'elle ne permette pas de définir avec précision si le téléchargement d'œuvres sur des réseaux P2P doit ou non être qualifié de contrefaçon.
Pour mémoire, les six prévenus se voyaient reprocher des actes de contrefaçon et de recel. Les résultats de l'enquête de gendarmerie et les diverses perquisitions à leurs domiciles respectifs avaient permis de saisir une grande quantité de logiciels copiés, des films copiés au format Divx, de la musique copiée au format Mp3, des instructions pour effectuer les copies et pour les échanger, des jaquettes de films, des logiciels de gravure et des logiciels de lecture de Divx et de Mp3.
Par ailleurs, ils se voyaient également reprocher d'avoir publié leurs listes de logiciels, de films et de musique sur un site web afin de proposer à d'autres internautes de réaliser des échanges postaux de copies sur CD-Roms pour compléter leurs collections respectives.
Mais cette décision a surtout marqué l'actualité car « les gendarmes ont par ailleurs constaté qu'à leur arrivée au domicile du prévenu, l'ordinateur de ce dernier était en fonction, et téléchargeait des films au format Divx par l'intermédiaire du logiciel Kazaa ». En effet, l'un des prévenus utilisait le logiciel de Peer-to-Peer KaZaa pour obtenir les oeuvres et les logiciels qu'il proposait ensuite d'échanger aux autres participants.
C'est au vu de l'ensemble de ces éléments que le tribunal décide d'appliquer l'article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit que l'édition d'œuvres de l'esprit au mépris de la propriété des auteurs est un délit de contrefaçon punissable de 3 ans de prison et 300 000 euros d'amende ; cinq ans de prison et 500 000 euros d'amende lorsque les délits ont été commis en bande organisée.
Certes, l'enquête de gendarmerie avait permis d'établir que les prévenus n'avaient pas tiré de bénéfices de leur activité d'échange sur Internet, mais le tribunal rappelle à juste titre que le caractère gratuit des échanges n'affecte pas l'élément légal de l'infraction et que le délit de contrefaçon reste pleinement constitué. Il indique cependant que cet élément sera pris en compte pour fixer les peines des prévenus.
Malgré tout, le verdict des juges se révèle assez lourd puisque les prévenus sont finalement condamnés à des peines allant de un à trois mois de prison avec sursis ainsi qu'à un certain nombre de peines d'amendes et à la publication solidaire d'annonces légales à la demande de la SACEM et de la SDRM.
A première vue, la décision semble donc fermement condamner les utilisateurs de réseaux P2P en qualifiant leur activité de contrefaçon. C'est, en tout cas, le message qui semble avoir été retenu par les représentants de l'industrie culturelle qui ont obtenu satisfaction au cours de l'audience.
Il semble toutefois qu'il faille rester prudent face à une interprétation aussi définitive de la décision. D'un coté, il est vrai que les prévenus se sont vus reprocher le téléchargement d'œuvres sur des réseaux P2P et que cette décision semble rejoindre celle du TGI d'Epinal du 24 octobre 2000 qui qualifiait d'illégaux les liens permettant de télécharger des Mp3 sans l’autorisation des titulaires des droits.
Pourtant, on ne peut pas négliger le fait que le tribunal n'a pas directement répondu à la question de savoir si les téléchargements des oeuvres sur des réseaux P2P étaient ou non susceptibles de correspondre à des actes de copie privées et de bénéficier de la cause objective d'irresponsabilité pénale énoncée par l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle ; quand la reproduction est strictement réservée à l'usage privé du copiste.
En effet, la question n'était pas nécessaire au tribunal puisque les prévenus avaient téléchargé et copié de nombreux logiciels sur Internet, alors que ceux-ci obéissent au régime de la copie de sauvegarde prévue à l'article L. 122-6-1 du Code de la propriété intellectuelle, lequel n'autorise qu'une copie unique, seulement destinée à permettre de préserver l'usage du logiciel.
Le tribunal affirme bien qu'un « stock de contrefaçon d'œuvres audio-visuelles » a été mis à la disposition des autres internautes grâce au logiciel d'échange de fichier KaZaa. Mais la confusion des deux qualifications et le refus des prévenus de se défendre sur le fond de l'affaire ne permettent pas de déterminer à partir de quels critères et sur quelles motivations précises s'est prononcé le Tribunal de grande instance.
Il paraît donc pour le moins hâtif de déclarer que le tribunal a qualifié de contrefaçon, le téléchargement d'œuvres sur un réseau P2P. Ajoutons aussi que, seul, le premier des prévenus utilisait un réseau P2P alors que la décision ne cesse de mettre en avant le fait que les prévenus détenaient des logiciels pour enregistrer et lire les Mp3 et les Divx. Dans ces conditions, on pourrait tout aussi bien affirmer que la décision assimile l'utilisation de baladeurs Mp3 à un acte de contrefaçon.
Finalement, on ne peut que regretter que la décision du Tribunal de grande instance de Vannes n'ait pas été plus motivée et qu'elle ne soit pas plus précise sur l'articulation de la copie privée et du P2P.
La question de la qualification des téléchargements d'œuvres sur des réseaux P2P se pose donc toujours avec autant d'acuité. L'intérêt pour cette question trouve d'ailleurs un relais dans les récentes décisions intervenues en Europe et au Canada où les tribunaux assimilent désormais le téléchargement sur internet à une forme de copie privée et refusent de condamner les téléchargeurs pour contrefaçon. On peut maintenant espérer que les prochaines décisions françaises les suivent sur ce point en abordant plus clairement le problème.
Jean-Baptiste Soufron,
Doctorant en droit
CNRS - CERSA Paris 2
http://soufron.free.fr